Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
288
revue philosophique

à établir entre eux l’espèce de familiarité qu’un contemporain a remarquée.

Cette bonne fortune d’un étranger, recueilli sur un grand chemin par le jeune M. de Berlier, ne tarda guère à étonner ceux là mêmes qui y avaient le plus aidé. On commença à se demander qui était cet homme ? La malignité et l’envie cherchèrent et n’eurent pas de peine à trouver quel était son côté faible ; car « les jeunes gentilshommes assez desbauchez dont il s’estoit accosté » [1] ne passaient pas en ville pour des modèles d’orthodoxie. À la vérité, lui-même ne parlait que pertinemment de la religion ; il semblait même qu’il prît plaisir à aller dans les couvents discuter des points de doctrine avec les régents de théologie ; mais… le démon prend toutes les figures. Suivant le jésuite Bisselius, les deux inquisitions, celle des Dominicains et celle du Parlement, reçurent des avis secrets que le signor Pompeïo était un athéiste, et instituèrent aussitôt contre lui une enquête non moins secrète[2]. On surveilla ses démarches, on épia ses propos, on interrogea sans paraître ceux qui s’étaient réunis avec lui, durant les soirées de l’hiver, dans une maison du quartier des études[3], on tint bonne note surtout de ce que lui-même avait raconté de son passé.

Ce malheureux Vanini, quelque discrétion qu’il se fût imposée d’ailleurs, n’avait pas su se refuser le plaisir de rehausser son importance aux yeux de ses jeunes amis en leur confiant qu’il avait vu la cour… au delà des Pyrénées. Sans changer rien au fond à l’histoire de ses dernières années, il leur en avait présenté tous les événements comme s’ils avaient eu lieu en Espagne, où pourtant on peut affirmer qu’il n’alla jamais. Mais il s’était entretenu assez longtemps au Louvre avec « le célèbre docteur » don Pedro de Villaquiran[4] pour donner à son récit une certaine couleur locale.

Avec une intention évidente de se faire honneur de son audace et de ses infortunes, il avait donc conté à cette jeunesse, dort il était l’oracle, qu’il avait été en Espagne ; l’Université de Salamanque l’avait d’abord attiré ; mais il n’y était pas resté, à cause de l’Inquisition, qu’il avait bravée. Pour lui échapper, il s’était réfugié à

  1. H. Mathieu, Histoire générale des derniers troubles arrivez en France sous les règnes de Henri III, Henri IV et Louis XIII, continuée par Claude Malingre, in-4o, Paris, 16-22, p. 621-622.
  2. Johannis Bisselii e Societate Jesu Rerum ætotis nostræ eminentium septennii III. Ambergæ, Joh. Koch, 1729, au tome V de Meaulla Historica, p. 303 et suiv. Biblioth. Nation.
  3. Journal de Borrichius, cité par Arpe, Apologia pro J. C. Vanino, p. 38.
  4. De arcanis, p. 72.