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ANALYSESdeschamps. — La Genèse du Scepticisme.

scepticisme proprement dit de tout ce avec quoi on pourrait être tenté de le confondre, pessimisme, esprit d’insouciance, dogmatisme négatif, etc. ; — est-il bien vrai que les sophistes ne puissent être rangés parmi les sceptiques ? En somme, affirmer avec Gorgias qu’il n’y a pas de vérité, ou soutenir que, si la vérité existe, l’esprit humain ne peut l’atteindre, conduit tout droit à la même conséquence : incertitude absolue des opinions humaines, et c’est là précisément le scepticisme. Avec plus de raison, selon nous, M. Deschamps ne veut pas qu’on appelle l’idéalisme et le sensualisme des scepticismes partiels, car, dit-il, leurs négations même font partie intégrante d’un dogmatisme décidé. — En résumé, il y a trois espèces de scepticisme proprement dit : le scepticisme théologique, qui annihile la raison au profit de la foi ; le scepticisme érudit, qui emprunte surtout ses arguments à l’histoire ; enfin le scepticisme scientifique, qui se fonde sur l’analyse philosophique de la connaissance. Kant se trouve rangé parmi les représentants du scepticisme scientifique. A-t-on raison de voir en lui un sceptique, après qu’on a refusé d’appliquer le nom de scepticisme aux systèmes où « les négations même font partie intégrante d’un dogmatisme décidé » ? et d’ailleurs n’est-il pas choquant d’entendre appeler sceptique l’auteur de la Critique de la Raison pratique ? Nous ne saurions admettre non plus, et cette affirmation nous a étonné, que l’argumentation d’un Kant exerce « dans le monde même des philosophes » une action moins forte et moins durable que celle d’un Montaigne ou d’un Bayle. Aussi bien M. Deschamps reconnaît-il lui-même peu après l’influence de Kant sur notre époque ; le scepticisme est, à ses yeux, la tendance qui prévaut généralement de nos jours ; il se partage en deux courants : le courant bayliste et le courant kantien ; et c’est au dernier que M. Deschamps rapporte plus spécialement avec assez peu de mesure et d’exactitude les « extravagances qui signalent notre époque ».

Quant à Bayle, son influence, dit-il, se marque à la fin du xviie siècle et au xviiie par de très nombreux écrits sur le scepticisme. Le kantisme dune part, de l’autre l’éclectisme avec sa prédilection accusée pour l’érudition historique, sont venus favoriser cette sorte d’anarchie, préparer le matérialisme et le positivisme, et voilà comment la tradition de Bayle est encore vivante parmi nous. Une autre raison de l’intérêt qui s’attache à cette étude est qu’on a émis sur le compte de Bayle bien des appréciations contradictoires : il fait horreur à Louis Racine ; Voltaire le comble d’éloges ; Lanfrey admire sa grandeur morale ; pour Cousin, il est plus paradoxal que sceptique ; pour Damiron, c’est un incertain ; ce n’est pas un sceptique. Beaucoup d’historiens de la philosophie méconnaissent son importance. En revanche, plusieurs ouvrages spéciaux lui ont été consacrés, notamment par Damiron, par Feuerbach, et plus récemment par M. Lenient ; mais tous se sont placés à des points de vue exclusifs. M. Deschamps donne au surplus la bibliographie relative à Bayle, à sa vie, à ses écrits ; et il indique soigneusement les documents les plus importants à consulter à ce sujet. Il y ajoute