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à la fin de son livre une notice détaillée sur les ouvrages de Bayle.

Venons au sujet même de la thèse, c’est-à-dire aux origines du scepticisme de Bayle. Étudiant d’abord les antécédents historiques de ce scepticisme, l’auteur passe en revue les principaux sceptiques à partir de la Renaissance. Notons au passage quelques lignes bien sévères pour Rabelais, quelques bonnes pages consacrées à Montaigne et une appréciation peu exacte, croyons-nous, des Pensées de Pascal. M. Deschamps conclut que le pyrrhonisme moderne a une couleur morale et théologique que n’offrait pas l’ancien. Puis, considérant le xviie siècle dans ses rapports généraux avec le scepticisme de Bayle, il constate les nombreux conflits philosophiques ou théologiques qui éclatent alors en France et en Hollande, et il remarque judicieusement que, sous cette unité apparente que le xviie siècle présente à première vue, il y a bien des oppositions, bien des éléments pour un certain genre de scepticisme. Bayle, à ce point de vue, est le produit du xviie siècle, et il sert d’initiateur au xviiie.

Mais la part principale dans la genèse de son scepticisme revient à sa personnalité et aux faits particuliers de sa vie. De là une série de chapitres qui ont pour objet la biographie de Bayle et l’analyse de son caractère.

Dans sa vie, M. Deschamps distingue, un peu artificiellement peut-être, deux périodes ; {{1o}] une période dans laquelle se forme le scepticisme de Bayle ; 2o  une période dans laquelle ce scepticisme s’accroît. Dans la première, la façon désordonnée dont Bayle fit son éducation, lisant au hasard toute espèce de livres, l’influence exercée sur lui au cours de ses études par la scolastique, si bien faite pour développer l’esprit de chicane, l’abjuration qu’il fit légèrement du protestantisme, lui dont le père était un rigide ministre de Calvin, puis, derechef, l’abjuration non moins légère qu’il fît de son récent catholicisme, enfin son séjour à Genève, la cité éristique par excellence, sont les faits principaux qui se rattachent à la naissance du scepticisme chez Bayle. A Sedan, où il occupe une chaire de philosophie, il publie son Systema totius philosophiæ, sorte de traité classique, œuvre de commande, où il ne faut pas rechercher sa véritable pensée et qui déjà cependant trahit çà et là l’absence de fortes convictions. Son « pyrrhonisme historique », comme il l’appelait lui-même, ne se dévoile complètement que dans sa réponse, sous forme de lettres, à l’Histoire du calvinisme de Maimbourg ; puis, il se donne mensuellement carrière dans la revue, bientôt célèbre, intitulée Nouvelles de la république des lettres. Dès lors, les principaux éléments du génie de Bayle, érudition, critique, scepticisme, tolérance, sont déjà visibles, mais ils s’accentuent encore pendant la période suivante. Dans la révocation de l’édit de Nantes, dans ses disputes incessantes avec les théologiens, notamment avec Jurieu, disputes où la passion dégénérait en méchanceté, Bayle puisa de nouveaux motifs d’aversion pour le dogmatisme. Privé de l’autorisation d’enseigner par suite des menées de Jurieu, il profita de ces loisirs