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notion exclusive répond seule à la réalité et même à ce qu’ont entendu tous ceux qui ont parié de la liberté humaine. Or je remarque que, dans l’idée de liberté, l’élément essentiel et supérieur aux systèmes est l’idée d’une certaine puissance personnelle aussi indépendante qu’il est possible, d’une activité affranchie, ayant le champ ouvert devant elle ; donc, j’ai le droit de dire que la définition conciliatrice des autres est celle de puissance active et indépendante, et que les divergences portent surtout sur la question suivante : Par rapport à quoi la liberté est-elle indépendante ? de quoi est-elle affranchie ? — Les partisans de la liberté indifférente répondent qu’elle est affranchie des motifs et des mobiles ; mais, si je prouve par l’observation que cet affranchissement prétendu n’existe pas, et par le raisonnement que, quand même il existerait, il ne servirait à rien et serait sans valeur sociale ou morale ; si de plus j’explique aux partisans de l’indifférence les raisons intérieures qui les font croire à l’indifférence de leurs actions, si je redresse leur illusion comme le physicien redresse celle du bâton brisé dans l’eau ; si enfin je vais plus loin encore, et si je montre que tout ce qu’il y a de positif et d’utile dans la liberté d’indifférence peut être conservé dans une doctrine supérieure ; que nous réalisons la liberté d’indifférence, dans la mesure où elle est réalisable, par l’idée même de cette liberté et par le désir de nous prouver à nous-mêmes notre indépendance de tout motif extérieur, — sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas, — n’aurai-je pas tout à la fois réfuté et complété la doctrine de l’indifférence[1] ? Sans doute il restera peu de chose de cette doctrine, et le travail est ici plus négatif que positif ; mais c’est qu’elle est elle-même d’ordre très inférieur et plus négative que positive : c’est tant pis pour elle et pour ses partisans. Il y a d’autres doctrines moins éloignées de la réalité et moins étroites, dont la part sera conséquemment plus grande dans la synthèse finale : cette part sera toujours proportionnelle non aux prétentions des auteurs de systèmes, mais à la quantité d’éléments réels et positifs qu’ils auront introduits dans leurs doctrines.

En tout cas, nous ne nous contenterons jamais de détruire, et nous essayerons toujours de reconstruire avec les pierres mêmes de l’édifice renversé : destruam et œdificabo. Je sais que les architectes protesteront contre le changement apporté à leur œuvre ; mais ce ne sont pas les architectes qu’il s’agit de réconcilier, ce sont les matériaux de l’édifice et les lois des diverses architectures. Notre méthode de conciliation pourrait se définir : une méthode d’analyse

  1. Voir pour les détails La liberté et le déterminisme.