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fouillée. — la philosophie des idées-forces

nous dit : Si je définis de manière à contredire dans les termes vos propres définitions, vous ne pourrez plus concilier. Il ressemble à quelqu’un qui tracerait au crayon un cercle sur la surface d’une planche et dirait : « Cette partie de la planche est séparée des autres ; » non, c’est toujours la même planche, et il suffit d’effacer votre cercle superficiel pour voir que tout se tient. On peut sans doute donner à une doctrine une forme inconciliable en lui donnant une forme franchement contradictoire ; mais ce n’est qu’une forme, une carapace logique et fragile. Par exemple, j’appelle liberté le contradictoire du déterminisme, donc la liberté n’est à aucun degré conciliable avec le déterminisme. — Oui, la liberté telle que la représentent vos définitions purement formelles ; mais la contradiction ne sera plus aussi certaine si vous présentez votre définition comme réelle, car les définitions réelles, n’embrassant jamais leur objet tout entier, peuvent laisser précisément de côté son point de contact avec les objets en apparence contraires. Vous aurez beau dire en physique : J’appelle ascension d’un ballon un phénomène contradictoire avec la chute des corps graves ; le physicien vous fera voir que la contradiction porte seulement sur les apparences extérieures, sur les directions du mouvement, l’une vers le bas, l’autre vers le haut, mais que ces deux directions n’en sont pas moins conciliables dans une même théorie qui les explique par la même force, la pesanteur. Votre logique se joue autour des choses : circum prœcordia ludit. Pour revenir à la philosophie et donner à la contradiction une forme entière plus tranchée, supposons en présence un partisan du déterminisme et un partisan non seulement du fibre arbitre, mais même de la liberté d’indifférence : l’un admet que tout ce qui se produit a une raison, l’autre qu’il y a des actes produits sans raison de telle manière plutôt que de telle autre. Que ferons-nous ? Nous les laisserons se battre s’ils le veulent ou se renfermer chacun dans la clarté de sa notion propre, sur laquelle se projette « la franche lumière des contradictoires ». Puis, passant pour notre compte des définitions aux objets définis, nous nous demanderons, 1° sur quel fait réel les deux adversaires ont fondé leur définition, 2° si les faits qui ont donné lieu à ces deux définitions inconciliables ne seraient pas eux-mêmes conciliables. Les partisans de la liberté d’indifférence disent que la seule liberté est la liberté telle qu’ils la conçoivent, de même que M. Renouvier dit : « La seule liberté est le libre arbitre. Si la liberté n’est pas la liberté d’une alternative, elle n’est rien du tout[1]. » Mais il s’agit précisément de savoir si cette

  1. Ibid., p. 123.