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de l’illusion dont les rêves nous font le jouet. À cet égard, en effet, les rêves se distinguent des autres produits de l’imagination auxquels nous reconnaissons sans peine un caractère d’inanité. Or, d’après moi, c’est un autre point capital, essentiel, fondamental de toute théorie du rêve, et l’auteur passe outre avec trop de légèreté. Ce n’est pas qu’il ne dise comme toujours d’excellentes choses, mais il n’apaise pas tous mes doutes. Laissons lui la parole.

À côté de la faculté de compréhension, la conscience a la faculté non moins importante de la distinction. L’homme sépare ses représentations les unes des autres ; dans l’ensemble de ses activités psychiques, il distingue les groupes durables et les impressions particulières et variables ; il classe et ordonne ses idées d’après certains points de vue dans des cercles définis où il ne met que les semblables et d’où il écarte les dissemblables. Il sait encore faire la différence entre les images de souvenir plus faibles et les sensations présentes qui sont plus fortes ; et, parmi ces dernières, entre celles qui lui sont fournies par son propre organisme et celles qui lui viennent du dehors. Par là, il apprend à opposer son propre corps aux choses extérieures qui viennent l’affecter, et son propre moi, en tant que somme des impressions corporelles et des activités psychiques, à d’autres êtres auxquels il accorde une réalité indépendante dans le genre de la sienne. Cela fait qu’il sait, dans l’état de veille et de santé, qu’un souvenir est autre chose qu’une intuition, et qu’il peut, dans la plupart des cas, discerner un produit de son imagination d’avec une chose existante, bien qu’il ne puisse pas toujours juger avec clarté de ce qui est proprement objectif et de ce qui est proprement subjectif dans toute représentation. Mais il en est autrement dans le rêve ou dans le délire. Ici, l’exaltation de l’activité nerveuse centrale (n’est-ce pas vraiment dommage de voir des mots venir en place d’une explication véritable ?) prête aux produits de la fantaisie une vivacité qui n’est d’ordinaire le propre que des impressions immédiates et qui annule l’activité de l’âme. Nous tenons pour vrai tout ce que notre imagination nous offre, le passé redevient présent, nous prenons nos espérances et nos désirs pour des faits, des monstres absolument impossibles pour des réalités. Parfois la même chose nous arrive quand, sans que nous dormions, nous nous laissons aller à être les dupes volontaires des mensonges de notre imagination. Mais ces cas sont rares « parce que les ressouvenances n’ont pas tout à fait la force des impressions immédiates et que nous possédons la faculté de nous orienter par lé monde réel. » Dans le sommeil, au contraire, nous ne recevons du dehors que des impressions affaiblies ; car, pour peu qu’elles s’accentuent, elles amèneraient le réveil ; elles sont