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delbœuf. — le sommeil et les rêves

incapables d’inviter la conscience à réagir, et le rêveur, sans nouvelles du monde qu’il habite, s’en construit un autre de ses propres idées. D’où le dicton d’Héraclite rappelé plus haut, que dans le sommeil chacun a son monde à soi, tandis que, dans la veille, le même monde est commun à tous. Vers le matin seulement, à l’approche du réveil, nous redevenons sensibles aux choses extérieures, les activités supérieures de l’esprit se remettent en branle, et l’illusion s’évanouit.

J’ai reproduit ce passage presque tout au long. Comme on le voit, c’est fort bien dit ; quelques-uns penseront même qu’il n’y a rien à ajouter ; et, pour ma part, la phrase que j’ai mise entre guillemets me paraît contenir le principe de la solution. Et pourtant j’insiste. Je suis ici devant ma table couverte de papiers et j’écris ces lignes que le lecteur a sous les yeux. Je ne pense pas être le sujet d’un rêve ; mais, comme le dit Descartes, j’ai parfois rêvé semblable chose, tout en me disant en outre dans mon rêve que je ne rêvais pas. Tout récemment je fais un rêve extrêmement compliqué, assez bien enchaîné, et très intéressant. Puis je m’assure tout d’un coup qu’il mérite d’être noté, et, toujours rêvant, je le consigne soigneusement sur une feuille de papier brouillard. Ne rêvé-je pas encore en ce moment que je l’écris sur papier ordinaire ? On me dira que je puis m’orienter par le monde extérieur, ce qui est vrai ; le soleil brille, une brise rafraîchissante se joue dans le feuillage qui s’étale devant ma fenêtre ; au loin j’entends le roulement des voitures et la trompette d’un enfant qui m’écorche les oreilles — mais tout cela ne fait-il pas partie de mon rêve ? M. Radestock ne dit-il pas lui-même, et j’ai souligné les mots, que, dans la plupart des cas, on peut reconnaître les imaginations d’avec les images réelles ? il y a donc des cas où on ne le peut pas. Ne suis-je pas dans un de ces cas ? et si cela se présente, ne fût-ce qu’une fois, d’où puis-je m’assurer que cela ne se présente pas toujours ? Dans une note, qui aurait dû figurer dans le texte, M. Radestock parle d’un étudiant polonais qu’il a connu dans une société scientifique. Cet étudiant a été somnambule, et aujourd’hui il lui arrive souvent en songe d’avoir la conscience que tout ce qu’il rêve n’est pas vrai, et néanmoins les images fausses ne s’en vont pas. J’ai connu des fous qui en étaient là. Comment cela est-il possible ? qu’est-ce donc que la conscience de la réalité ? Je le répète, on peut, dans une certaine mesure, penser que M. Radestock a dit tout ce qu’il fallait dire, mais j’aurais désiré sur ce point spécial une analyse plus détaillée, plus vigoureuse et plus profonde.

Ce même défaut de profondeur, je le signalerai encore dans le chapitre neuvième. Je ne dis rien des chapitres septième et hui-