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dit Beaumarchais, n’est point si simple et tout d’une pièce ; de l’autre, des effets si merveilleux veulent leur raison suffisante. C’est le tort de notre époque, éprise d’ « objectivité », de ne voir en Rousseau que le théoricien abstrait, le logicien à outrance, l’idéologue. En roulant çà et là par le monde, grâce à un don admirable d’assimilation, le futur philosophe avait fait tous les apprentissages. Ce censeur des lettres, des sciences et des arts, était un lettré et un artiste digne de collaborer à l’Encyclopédie ; ce théoricien politique avait géré avec succès une ambassade follement dirigée ; cet éducateur est un docte, ce raisonneur un génie éprouvé. « Outre l’homme de théorie, il y a trois ou quatre hommes dans Rousseau. Sans parler de l’homme de l’espérance et du rêve, il y a l’homme de la réalité et de l’observation, auquel nous devons tant de portraits contemporains, d’esquisses ethnographiques, de fins aperçus sur les enfants et sur toutes choses. Il y a l’homme de pressentiment et de prévision », qui annonce « les crises prochaines et l’âge des révolutions ». Relevant les récentes critiques de M. Taine, M. Amiel nous rappelle « que le réel ne serait jamais amélioré si la science d’observation était l’unique-, que si les thèses tranchantes et simples sont des demi-vérités, ce sont les demi-vérités qui seules jusqu’ici ont frappé et passionné les multitudes ; que si les demi-vérités seules réussissent, c’est que la dose d’erreur qu’elles renferment les rend plus assimilables à l’humanité. Donc ne médisons pas trop des idéologues et des théoriciens, pourvu qu’ils soient conséquents. »

La conclusion de M. Amiel mérite d’être citée ; elle clôt, à notre avis, le débat stérilement continué sur ce grand nom. « Quant aux idées proprement dites, presque toutes celles de Rousseau ont germé après lui, elles fleurissent autour de nous, et il est probable que, de tous les grands novateurs du siècle dernier, c’est Rousseau qui se trouverait le moins dépaysé dans notre société actuelle. Cependant il faut reconnaître que ses idées ont vieilli, ou plutôt qu’elles ont été amendées par l’expérience. Ce qui nous sépare le plus profondément de lui, c’est que le mot d’ordre universel a changé. Dans la science comme dans la vie, ce n’est plus la Nature, mais le Progrès, qui explique tout. Ebauchée par Herder, Lessing, Turgot, Condorcet, cette dernière conception est devenue, par Saint-Simon et Hegel, l’idée favorite et dominante de notre époque, et cette conception semble le contraire de la précédente. Il n’y a pourtant pas contradiction entre elles ; en effet, la nature humaine, qui fait partie de la nature générale, étant perfectible, la nature devient progrès sans cesser d’être nature. Mais il est certain que l’idée la plus haute des deux est celle de progrès. »


II


Le jugement de M. Hornung sur les Idées politiques de Rousseau abonde en utiles remarques et en maximes excellentes ; résumons-le brièvement.