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À un autre point de vue, l’œuvre dont il s’agit se place sous le patronage de l’expérience. M. Lastarria, comme l’indique le titre même de son livre, entend professer une politique « positive ». C’est un admirateur et un disciple d’Auguste Comte, dont il suit la méthode. Ses conclusions toutefois sont bien différentes ; car, au lieu de vouloir, comme Comte, tout réglementer dans le corps social, il fait à la liberté individuelle la plus large part. Le but qu’il poursuit est ce qu’il appelle la sémécratie, c’est-à-dire le self government. Malgré cette divergence de résultats, que la méthode positive, paraît-il, comporte tout aussi bien que la méthode métaphysique, M. Lastarria se propose de constater dans la branche de la sociologie qu’il aborde « cet accord des savants qui, dans les sciences exactes, constitue l’autorité. » Et en effet les citations fréquentes que fait l’auteur de Stuart Mill, de Tocqueville, de Laboulaye, etc., sont conformes à ses vues propres. Seulement cela suffit-il pour constituer l’accord des savants, ou n’y aurait-il de savants que dans l’école, d’ailleurs si digne d’estime, à laquelle appartient M. Lastarria ?

La méthode qu’il suit est, nous l’avons dit, celle d’Auguste Comte. Elle a pour point de départ des données expérimentales d’où elle déduit des conclusions que l’expérience doit encore confirmer. Cette méthode, dite déductive (quoique la déduction y joue, ce semble, un rôle secondaire), s’oppose à la méthode subjective, qui d’une conception à priori tire des conséquences dont la valeur est purement logique. Il faut du reste noter que dans la sociologie, par conséquent dans le droit et dans la politique, le droit étant une division et la politique une subdivision de la sociologie, l’application de la méthode déductive n’est pas la même que dans les sciences physiques : dans ces dernières sciences, comme l’a remarqué Comte, l’expérience spécifique des faits complexes est ce qui nous sert pour vérifier les lois que la déduction tire des faits élémentaires ; mais dans la sociologie, où il faut tenir compte des influences accumulées que les générations passées exercent sur chaque génération présente, c’est l’observation spécifique des phénomènes complexes qui suggère la loi, et c’est la déduction qui permet de la vérifier.

L’usage de cette méthode réclame l’établissement d’un critérium par lequel on puisse contrôler les conclusions inductives. Quel est donc ce critérium ? L’homme est un être sensible, intelligent et libre. La sensibilité est le principe conservateur ; l’intelligence est le principe du progrès ; quant à la liberté (que l’auteur parait admettre comme pouvoir distinct, tout en admettant aussi cependant le dogme de l’universelle nécessité) elle consiste à pouvoir nous affranchir, avec l’aide de l’intelligence, tant des entraînements de nos instincts que du milieu ambiant. Or la fin de l’homme réside dans le développement de toutes ces facultés intellectuelles, affectives et actives, conformément à l’ordre général de l’univers et, dans cet ordre général, conformément à l’ordre particulier de chaque être, de manière à conserver l’équilibre univer-