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ne connaissant que des faits et des relations d’ordre expérimental, ne saurait expliquer le caractère absolu, impératif, obligatoire, de l’idée du droit ?

Mais voyons à l’œuvre ces principes de la politique positive, quelle que soit leur valeur ; voyons du moins, forcés que nous sommes de nous borner, celles de leurs applications dont l’importance mérite particulièrement de fixer notre attention. Tels sont les points qui touchent aux rapports de l’État avec l’Église et avec la morale.

La religion, on l’a vu, est une idée fondamentale de la société. Elle est compatible, affirme M. Laslarria après Stuart Mill, même avec la prédominance du mode positif de penser. Car l’idée de Dieu, pourvu qu’on en exclue la notion de volonté arbitraire, est conciliable avec celle d’un ordre constant dans la série des phénomènes. Or d’un côté l’État doit, on l’a vu, assurer à toute idée fondamentale ses conditions d’existence ; d’un autre côté, il ne représente aucune croyance soit dans l’ordre spéculatif, soit dans l’ordre actif ; enfin la religion est affaire de sentiment individuel. De tout cela il résulte que l’État doit maintenir l’entière indépendance de l’Église, ne point toucher aux dogmes, et n’attribuer à aucun culte un salaire qui compromettrait la liberté dont l’Église a besoin. En revanche, il doit veiller à ce que la religion ne détruise pas le droit commun et à ce que les prêtres ne sortent pas du cercle de leurs fonctions religieuses. L’auteur ne dissimule point au surplus que la question religieuse est particulièrement difficile à résoudre aujourd’hui, en présence de l’attitude des ultramontains, qui, sous le nom de libertés, revendiquent de véritables usurpations.

De toute cette théorie, dont les tendances libérales ne peuvent qu’être approuvées, nous nous bornerons à relever un point. L’État, selon M. Lastarria, ne représente aucune croyance. Pourquoi donc, s’il en est ainsi, au nom de quel principe, surveillera-t-il la religion et lui marquera-t-il les limites qu’elle ne doit pas franchir ? n’est-il pas évident que l’État représente à tout le moins la croyance au droit, à la liberté, à l’égalité, c’est-à-dire en définitive une doctrine morale sans laquelle il ne pourrait exercer sur la religion qu’un contrôle illégitime ?

Quant aux rapports de l’État avec la morale, l’auteur les définit en distinguant deux sortes de relations : les relations conditionnelles, comprenant les moyens indispensables pour réaliser la fin humaine, moyens qui dépendent de la coopération des autres hommes, et les relations volontaires, dérivant de la liberté individuelle. Tandis que celles-ci sont du domaine de la morale, celles-là sont du domaine du droit : car l’homme, en vertu de sa nature, peut exiger qu’on lui fournisse tous les moyens indispensables à l’intensité de sa vie. Les relations conditionnelles, le droit, sont donc du ressort de l’État ; mais en ce qui touche les relations volontaires, la morale, l’État doit se contenter d’en assurer l’indépendance. M. Lastarria parait convaincu que, dans la sphère des relations conditionnelles, il n’y a pas de conflit