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De ces prémisses générales il est facile de conclure que M. Lastarria doit être partisan, et il l’est en effet sans ambages, de la décentralisation du pouvoir politique. Le régime fédéral a toutes ses préférences. Il soutient d’ailleurs que la réforme des institutions politiques doit être facile, et qu’en cela elle diffère des réformes sociales, dont elle est du reste la condition préalable. Il a suffi par exemple, dans les colonies hispano-américaines, de fonder un simulacre de république, pour que les réformes sociales aient aussitôt commencé dans toutes les sphères de l’activité humaine. Il y a plus : les réformes politiques peuvent et doivent être en tout temps radicales, tandis que les autres ont besoin d’être graduelles ; car : 1o  la meilleure façon de s’habituer à la liberté, c’est de la pratiquer ; 2o  les réformes sociales touchent à de plus graves intérêts que les réformes politiques. Tout cela peut être juste, mais ne prouve pas, ce semble, que, du jour au lendemain, un peuple puisse être précipité du despotisme dans un régime de pleine liberté sans s’exposer à des fautes d’inexpérience malheureusement susceptibles d’engendrer bientôt le dégoût du nouvel ordre de choses et la réaction.

Notre intention ne saurait être de suivre M. Lastarria dans les détails où il entre sur la souveraineté nationale, sur l’organisation des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, enfin sur l’administration des municipes. Partout son grand souci est de réagir contre l’idée de l’État unitaire et providentiel, contre la conception des gouvernements « forts » et le fonctionnarisme. De ces principes, justes en partie, mais empreints d’un libéralisme à outrance, l’auteur poursuit l’application avec une réelle vigueur de pensée et en unissant dans une sage mesure l’histoire, l’étude comparative des constitutions, aux considérations théoriques. On lira notamment avec fruit le chapitre relatif au droit de suffrage. M. Lastarria recommande le mode proportionnel, qui permet la représentation aussi exacte que possible des minorités et qui empêche de perdre aucune voix.

La conclusion de la Politique positive est, on l’a vu, la sémératie, dont l’auteur croit trouver le type jusqu’ici le plus parfait aux Etats-Unis. Autant il loue l’esprit libéral des Américains, autant lui paraît détestable, et d’une influence pernicieuse, le génie politique de la France, son goût passionné pour l’unité. Et cependant, si à cet amour de l’unité la France sait joindre enfin, l’espoir ne nous en est pas défendu, l’amour non moins ferme de la liberté, un tel idéal ne vaudra-t-il point celui que se propose l’individualisme ? Disons plus : ne serait-ce pas l’idéal même qu’une cité qui d’abord s’appliquerait à faire régner dans les âmes et prévaloir dans les faits le respect de la liberté de tous, et qui ensuite, prenant pour point de départ ce premier dogme, celte première religion commune, chercherait à réaliser de plus en plus l’union morale de ses membres ici-bas dans et par la liberté ? Combien ne lui serait-il pas intérieur en force et en dignité l’État que préconise M. Lastarria, cet État dénué de toute croyance, dépouillé de