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ANALYSESardigò. — La morale dei positivisti.

corrélation avec les besoins, avec les exigences du milieu. Or l’iiomme est surtout un être social. Ayant besoin de penchants sociaux, il en est doué en effet. En lui se rencontrent certaines idées, idées accompagnées, suivant la loi posée plus haut, des impulsions correspondantes, qui lui représentent le bien de ses semblables comme plus désirable que son bien propre et soumettent les impulsions égoïstes aux fins des divers groupes où il est engagé.

En vain dira-t-on que la plupart des actions humaines sont en fait inspirées par l’intérêt, parlant par l’égoïsme : il suffirait qu’un certain nombre de ces actions soient inspirées par l’affection et le dévouement pour qu’on soit autorisé à voir dans celles-ci la caractéristique de l’activité humaine : un être est caractérisé par ses productions les plus achevées, comme une espèce végétale par ses fleurs les plus belles ou ses fruits les plus excellents. Mais le dévouement n’est pas si rare qu’on le pense ; sur lui repose la famille ; et, sans parler des actions héroïques, la vie des nations n’est entretenue que par une multitude de dévouements obscurs, un très grand nombre d’entre nous faisant volontiers abnégation de soi-même pour que la fonction sociale dont le hasard nous investit ne souffre pas entre nos mains, pour que la justice ne cesse pas d’être défendue ou la vérité poursuivie.

Quelque charme d’ailleurs qu’il y ait dans la satisfaction des penchants sociaux, il ne faut pas croire que ce charme en est le vrai but ; l’esprit de solidarité est comme le sang qui circule dans l’organisme : il n’est pas nécessaire que la circulation soit sentie pour qu’elle se fasse, et de même il n’est pas nécessaire que les actions désintéressées soient agréables pour qu’elles soient accomplies. Certaines fonctions corporelles, même douloureuses, s’exécutent cependant, si elles sont nécessaires, ainsi la toux pour le malade. Il n’est pas douteux que les actes de dévouement, devenant pénibles, ne cesseraient pas d’avoir lieu. « La nature pourrait très bien faire agir la force anti-égoïste, même si l’agent avait à en souffrir, même s’il devait périr par elle. » N’est-ce pas ce qu’on voit dans les manifestations de l’amour maternel, dès le règne animal ? La nature nous communique l’impulsion ; le plaisir la suit : autrement d’où viendrait le premier acte, antérieur à la découverte de ses conséquences agréables ? Du reste le plaisir est si peu inhérent à l’action vertueuse, que la délicatesse de la conscience multiplie les occasions de souffrir et que son endurcissement les rend plus rares. L’homme est donc porté par sa nature même à concevoir et à réaliser l’idéal d’abnégation et de bonté qui est son trait essentiel, sa « maîtresse forme ».

C’est là toute la morale de M. Ardigò. Qu’on ne lui demande pas de longues dissertations sur l’obligation morale et les diverses formes d’impératif. Il constate l’existence des idées morales, et cela lui suffit ; toutes les idées étant impulsives, celles-ci doivent nécessairement produire les actes correspondants. Si on lui objecte que les idées égoïstes doivent avoir leur part d’empire, il ne le nie pas, et reconnaît que les