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idée symbolisée ; d’un fétiche ne peut pas sortir l’idée de dieu si elle n’y était déjà attachée. « Des objets quelconques, des pierres, des coquillages, une queue de lion, une mèche de cheveux, ne possèdent pas par eux-mêmes une vertu théogonique et productrice des dieux. » (P. 117.) Donc les phénomènes du fétichisme ont toujours des antécédents historiques et psychologiques. Les religions ne commencent pas par le fétichisme, mais il est plus vrai de dire qu’elles y aboutissent ; il n’en est pas une qui se soit maintenue pure sous ce rapport (110). Les Portugais catholiques, qui reprochaient aux nègres leur feitiços, n’étaient-ils pas les premiers à avoir leurs chapelets,leurs croix, leurs images bénies par les prêtres avant le départ de la patrie ?

Si, d’après M. Max Müller, le fétichisme n’est pas la forme primitive de la religion, si le monothéisme conscient ne l’est pas davantage, il sera plus exact de dire que la religion première, du moins aux Indes, a consisté dans le culte de divers objets pris tour à tour isolément : c’est ce que M. Max Müller appelle d’un nom forgé par lui, l’hénothéisme (εἶς, ἑνός, par opposition à μόνος) (p. 238), ou mieux encore le kathénothéisme (p. 246). Dans le polythéisme ordinaire, les dieux ont des hiérarchies, des rangs divers ; l’ordre règne en ce ciel imaginaire ; mais au début cet ordre ne devait pas exister : chaque dieu devenait le plus puissant pour celui qui l’invoquait ; Indra, Varuna, Agni, Mitra, Soma, recevaient tour à tour les mêmes épithètes (p. 258). C’est l’anarchie précédant la monarchie. « Parmi vous, ô dieux, dit le Rishi Manu Vaivasvata, il n’en est pas de grands, il n’en est pas de petits ; il n’en est pas de vieux ni de jeunes ; tous, vous êtes grands en vérité. » C’est que tous étaient des symboles divers exprimant une même idée, celle de l’adoration pour ce qui dépasse l’esprit, pour l’infini fuyant que nos sens nous prouvent en nous le cachant.

Il faut voir M. Max Müller s’efforçant de nous retracer l’évolution de la pensée indienne bien avant la naissance du bouddhisme, qui fut le protestantisme de l’Inde. Nous assistons avec lui à cette recherche des dieux, qui nulle part ne fut plus anxieuse et plus infatigable que dans ce grand pays de méditation. Πάντες δὲ θεῶν χατέουσ’ ἄνθρωποι, disait Homère. Ces dieux, l’Inde ne les chercha guère dans le domaine de ce qui est entièrement tangible ; par là, M. Max Müller entend ce qu’on peut palper sous tous ses côtés, pierres, coquillages, os, etc. Au contraire, en présence de ces grandes montagnes neigeuses dont notre plate Europe ne peut même pas nous donner l’idée, de ces fleuves immenses et bienfaisants, avec leurs chutes d’eau grondantes, leurs soudaines colères, leurs sources ignorées,