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guyau. — de l’origine des religions

de l’océan où l’œil se perd, l’Hindou se sentait devant des choses qu’il ne pouvait toucher et comprendre qu’à moitié, dont l’origine et la fin lui échappaient : c’est le domaine du semi-tangible auquel l’Inde emprunta ses semi-divinités. En s’élevant encore d’un degré, la pensée hindoue devait arriver dans le domaine de l’intangible, c’est-à-dire de ces choses qui, quoique visibles, échappent pourtant entièrement à notre portée, du ciel, des étoiles, du soleil, de la lune, de l’aurore : ce furent là pour l’Inde les vraies divinités, au nombre desquels il faut ajouter le tonnerre, qui lui aussi descend du ciel en « hurlant », le vent, si terrible parfois, qui pourtant dans les jours brûlants de l’été « verse le miel » sur les hommes, et enfin la pluie, la pluie bienfaisante, qu’envoie le « dieu pleuvant « , Indra, le plus populaire des dieux de l’Inde. Après avoir ainsi créé leurs dieux et peuplé le ciel un peu au hasard, les Hindous ne tardent pas à les distribuer en classes et en familles, à établir entre eux des généalogies. Quelques tentatives se font pour créer dans ce ciel, comme dans l’Olympe des Grecs, un gouvernement, une autorité suprême ; dans plusieurs hymnes, l’idée du dieu Un et personnel, créateur et maître du monde, est clairement exprimée : c’est lui « le père qui nous a engendrés, qui connaît les lois et les mondes, qui seul donne leurs noms aux dieux. » (Rig., X, 82).

Mais l’esprit hindou devait s’élever tout à la fois au-dessus du polythéisme grec et du monothéisme hébreu par une évolution nouvelle : il est beau de diviniser la nature, mais il y a quelque chose de plus religieux encore, c’est de la nier. On peut dire en développant la pensée de Max Müller, que la ferme croyance en la réalité de ce monde, en la valeur de cette vie, entre peut-être comme élément essentiel dans la croyance en un dieu personnel, supérieur au monde et distinct de lui, tel que le Jéhovah des Hébreux. Précisément, le trait caractéristique de l’esprit hindou, c’est le scepticisme à l’égard de ce monde, la persuasion de la vanité de la nature ; le Dieu hindou ne pouvait donc rien avoir de commun avec Jupiter ou Jéhovah. Qui ne voit dans les forces de la matière qu’un jeu des sens ne verra dans les puissances qui sont censées diriger ces forces qu’un jeu de l’imagination ; la foi dans le créateur s’en va avec la foi dans la création. C’est en vain que les poètes réclament pour leurs dieux la çraddhâ, la foi. Indra surtout, le plus populaire des dieux, à qui l’on donnait l’épithète suprême de Viçarkarman (artisan universel), est le plus mis en doute, le plus renié. « Il n’y a pas d’Indra, disent certains. Qui l’a vu, qui louerions-nous ? » (Rig., VIII, 89, 3.) Il est vrai que le poète, après ces paroles amères, fait apparaître tout à coup Indra lui-même, comme dans le