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SUR LE DÉDOUBLEMENT DU MOI DANS LES RÊVES



Dans mon premier article sur les Rêves (1879, tome X, p. 343), à propos du phénomène du dédoublement du moi, je me disais disposé à y voir tout simplement la dramatisation de cette habitude de la pensée de se manifester sous forme de dialogue. « Au moment où j’écris, ajoutais-je, je cause avec un lecteur fictif et je lui attribue les objections et les doutes lorsque je ne me crois pas clair ou que je doute moi-même. Or je pourrais tout aussi bien prendre son rôle et mettre dans sa bouche les réponses et les solutions. Je me borne à indiquer cette idée. » Je suis en possession d’un fait récent qui vient à l’appui, je dirai plus, qui donne un très haut degré de probabilité à cette manière de voir.

Un excellent bourgeois de mes amis, qui, s’intéressant aux questions de psychologie, veut bien me rendre compte parfois de ses rêves, est sur le point de se faire bâtir une maison. Ignorant autant qu’une carpe en fait d’architecture, il en a néanmoins fait lui-même le plan de distribution, et, comme M. Pencil, l’un des héros de Töpffer, il remarque tous les jours avec plus de plaisir qu’il en est content. Ce plan réunit, à ce qu’il paraît, toutes sortes de qualités difficilement conciliables : il est original et rationnel, pratique et artistique ; bref, c’est un chef-d’œuvre. L’auteur de cette huitième merveille se promène à toute heure dans ses projets d’appartements, approuvant leurs combinaisons, louant leur disposition, se pâmant en leur ordonnance. Une de ses récréations favorites, c’est de s’imaginer qu’il fait voir cette demeure à des visiteurs capables de sentir le vrai beau, et il se rengorge quand il reçoit les éloges que ne manquent pas de leur arracher à chaque pas les aménagements si profondément calculés de cet incomparable édifice. Sa naïve vanité brode sur ce thème des variations à l’infini. Dernièrement, étendu mollement dans un fauteuil, il commence dans sa tête un petit drame. Des revers de fortune le forçaient à vendre cette maison, qui, notez-le bien, n’est pas encore sortie de terre. Un amateur se présente, et voilà qu’il le fait voyager d’étage en étage jusqu’au grenier, puis redescendre dans le sous-sol, ne lui