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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

et à juste titre, car, ainsi qu’on le verra dans la suite, il avait pu éprouver la sincérité de son affection.

Toutes ces diversions n’empêchèrent pas Vanini de pousser vigoureusement ses études officielles. Quand il sut tout ce qu’il devait savoir, non tout ce qu’il aurait voulu, il quitta Padoue, où il était resté deux années scolaires, vers le milieu de 1608, méditant d’aller chercher ailleurs ce que l’enseignement de ses maîtres lui avait laissé à désirer. Il faut se rappeler qu’au xviie siècle la science n’était pas une, comme elle l’est aujourd’hui. Pour parler le langage des botanistes, elle avait ses habitats et variait de l’un à l’autre, ainsi qu’il arrive aux plantes. Elle se développait inégalement suivant la nature de chaque peuple, son génie propre, la rectitude plus ou moins grande de sa méthode instinctive. La médecine de Montpellier et celle de Paris différaient dans une grande mesure et ne se ressemblaient peut-être que par leurs effets. Il était impossible aux hommes d’étude, même les plus appliqués, de connaître au jour le jour les progrès de la science. Il ne leur servait de rien d’être bibliographes, tant les livres circulaient lentement. Ils n’avaient d’autres ressources que de payer de leur personne et de s’en aller comparer leurs connaissances acquises avec celles qu’on avait dans les autres pays. En Angleterre, où les moyens d’instruction étaient encore plus circonscrits qu’ailleurs, cette nécessité était si bien reconnue qu’elle avait force de coutume, et voilà pourquoi les jeunes gens d’une certaine naissance, une fois leurs classes terminées, faisaient et font encore un tour sur le continnent. C’était un voyage de ce genre que Vanini voulait faire. Dans l’état de sa fortune, il aurait eu peut-être quelque peine à donner jamais suite à ce projet. Heureusement pour lui, son ami Genocchi, qui était riche, avait été au-devant de ses vœux, en lui proposant de parcourir l’Allemagne de compagnie. Pourtant ils ne se mirent pas tout de suite en chemin. Vanini voulut auparavant aller revoir son pays natal, car la science, qu’il compare au lotus dans ses hyperboles d’amoureux, n’avait pas eu la vertu de lui faire oublier sa famille… — Ce ne fut pas sans angoisse que, arrivé dans la Pouille, il aperçut au loin le clocher de Taurizano. C’était en été. Une longue traite à cheval et les ardeurs d’un soleil accablant avaient épuisé ses forces et enfiévré son corps débile. Une corneille tout à coup poussa son cri sinistre[1]. Le futur philosophe crut à sa mort prochaine, car il en était encore à redouter les présages, comme un Italien du paganisme. L’étonnement qu’il eut de survivre lui fit faire des réflexions, et ce fut depuis lors qu’il

  1. De arcan., p. 424.