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le tube de façon à voir les bords. « La cause de l’erreur, dit M. Delbœuf, n’étant ni physique ni physiologique, est donc psychologique et gît dans l’inconscience. »

Il me semble difficile de se représenter un état inconscient de l’esprit autrement que comme un état du cerveau, et l’on est ainsi ramené dans le cas précédent. La vision qui s’impose est celle dont les expériences antérieures et les circonstances actuelles favorisent l’existence. Nous verrons d’ailleurs des erreurs analogues d’autres sens ayant une cause qu’il serait difficile de ne pas considérer comme physiologique.

Une impression extérieure, quelle qu’elle soit, ne peut déterminer une sensation qu’en s’accommodant pour ainsi dire à la texture de l’organe qui la reçoit ; il faut qu’elle soit apte à déterminer un certain mode de vibrations de certains nerfs, et elle n’est perçue qu’en tant qu’elle détermine ces vibrations. Ainsi le nerf optique, dilacéré, donne des impressions visuelles. Une cause complexe agissant sur différents nerfs, chacun triera l’excitation que sa structure lui permet de recevoir et laissera les autres.

Le sens de l’ouïe est sujet à des erreurs qu’on peut facilement rapprocher de celles qu’on vient de voir. La lutte des impressions extérieures se manifeste fréquemment ; il est difficile d’entendre au milieu du bruit, et les excitations les plus fortes empêchent les autres d’être perçues. À la représentation d’un opéra, il est souvent impossible de comprendre les paroles prononcées par le chanteur, soit à cause de l’accompagnement, soit à cause de la façon dont les paroles sont déformées pour être adaptées à la musique. Il est facile de percevoir ces paroles si l’on en prend connaissance d’abord. Elles ont alors, en effet, moins de peine à parvenir à l’esprit, grâce à l’effet de l’habitude, et elles sont moins facilement éliminées dans la lutte qui s’établit entre les diverses excitations. Les sons ou les séries de sons ressemblant aux sons ou aux séries déjà entendues sont plus facilement perçus. Si l’on a été particulièrement frappé, en entendant un air, par un passage, un trait, une modulation, une partie accessoire même, et si l’on entend un autre air, que l’on ne connaît pas et où se trouve un passage semblable à celui qu’on a remarqué dans le premier, on sera porté à attribuer aux deux airs une ressemblance plus grande que celle qu’ils ont en réalité, ou même à les confondre. De même, un mot qui ne nous est pas familier et qui ressemble à un autre mot que nous connaissons peut parfois être confondu avec ce dernier. Cette illusion se rapproche beaucoup des erreurs visuelles que j’ai citées plus haut. Les gens ignorants qui connaissent peu de mots et qui ont peu de facilité