Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
paulhan. — l’erreur et la sélection

pour en apprendre d’autres ont souvent cette illusion. Parlez-leur d’une fièvre muqueuse, beaucoup d’entre eux entendront invariablement fièvre moqueuse, et ce n’est qu’à grand’peine qu’on pourra corriger l’erreur, c’est-à-dire préparer les voies où doit passer l’excitation.

Les phénomènes pathologiques présentent des cas’analogues.

« Les monomanes tristes en proie à des hallucinations de l’ouïe entendent, dit Brierre de Boismont[1], des paroles désagréables, blessantes, pénibles, railleuses. « Les plus nombreuses proviennent des ennemis, des persécuteurs. » Sur 55 cas d’hallucinations de l’ouïe dans la lypémanie, on a noté 53 fois des hallucinations douloureuses.

Les illusions de l’ouïe qui se produisent dans les rêves montrent encore la même loi. Le rêve de Napoléon déjà cité en est un exemple. « Si l’on rêve d’un duel, dit encore Brierre de Boismont, le bruit que l’on entend réellement devient aussitôt la décharge des pistolets des combattants. Si un orateur prononce un discours, le bruit devient celui des applaudissements de son auditoire supposé. Si le dormeur est transporté par son rêve au milieu des ruines, le bruit paraît celui de la chute de quelque partie de cette masse. »

Il est évident, et c’est là une remarque qui s’applique à presque tous les faits que l’on explique par l’association, que l’association à elle seule ne peut rendre compte de ces phénomènes et qu’il faut faire intervenir aussi la concurrence et la sélection[2].

Les excitations tactiles peuvent être suivies d’illusions analogues à celles de la vue et de l’ouïe. Voici un fait qui se rapproche des lapsus visuels et des erreurs acoustiques de même nature. « J’ai eu dans mon service, dit M. Luys, une malade jeune encore qui pendant longtemps avait été attachée à la Salpêtrière comme fille de lingerie pour plier les linges et rouler les bandes. Dans les dernières années de sa vie, cette femme, étant devenue complètement aveugle et paraplégique, présentait les phénomènes suivants : étant dans le décubitus dorsal, venait-on à mettre entre ses doigts une bande non roulée, un bout de corde même, immédiatement ce contact éveillait en elle d’anciens souvenirs : elle se mettait à opérer des mouvements de roulement avec ses mains, automatiquement, sans savoir ce qu’elle faisait, comme si c’eût été un appareil d’engrenage mécanique[3]. » M. Luys cite également, d’après Mesnet, l’histoire célèbre du militaire qui, dans certaines crises somnambuliques venues à la

  1. Brierre de Boismont, Des hallucinations.
  2. Voir aussi Esquirol, Des maladies mentales, I, 160 et suiv., un cas curieux.
  3. Luys, Le cerveau et ses fonctions, p. 110.