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bler en une seule sensation, en un seul et même acte de la pensée une diversité sans nombre de processus matériels. Mais la différence de l’esprit et du corps réside surtout en ce que le second n’est que l’enveloppe extérieure en quelque sorte de la réalité, tandis que le premier nous livre l’être comme à nu et nous découvre, dans son unité et la variété de ses modes, le secret définitif de la réalité universelle. L’esprit sait qu’il est et comment il est ; il sait aussi que partout, à des degrés différents sans doute, la conscience et ses modes se retrouvent identiques au sein de l’être véritable. L’unité du monde n’exprime pour notre pensée que l’unité de la conscience supérieure qui anime toutes les parties de l’univers. À cette unité plus haute sont subordonnées, dans une [hiérarchie infinie, ? comme autant d’individualités inégales en dignité, mais uniformément composées d’un corps et d’une âme, les astres, les hommes, les animaux, les plantes, les végétaux. C’est l’action de cette âme du monde sur toutes les autres âmes qui produit et assure l’unité de leurs représentations mutuelles, et les rend toutes participantes d’une même pensée et d’un même univers. Dans cette hiérarchie des consciences cosmiques, l’esprit divin est ainsi la plus haute réalité, le principe et la fin de tout le reste. Les consciences finies puisent à cette source unique et leur existence et leurs représentations, dans ce qu’elles ont de commun comme dans ce qui les distingue. Tandis que nous ne sommes assurés que par des raisons historiques et pratiques de la réalité du monde extérieur, l’existence de Dieu s’appuie sur des arguments à la fois pratiques, historiques et théoriques.

Fechner entreprend par son système de réconcilier la tradition et la libre recherche, la religion et la science. Il se plaît à y signaler la confirmation, sous des formes très inattendues sans doute, des antiques pressentiments de la conscience religieuse des premiers âges.

L’essai moitié humoristique, moitié sérieux sur l’anatomie comparée des anges, qu’il fit paraître sous le pseudonyme du D’Mises, nous permet bien de mesurer ce que sa méthode a d’original et de chimérique tout à la fois. Les astres, animés selon la métaphysique de l’auteur, ne sont pas autre chose que les anges ; la rapidité de leurs mouvements, les influences qu’ils exercent sur notre planète, leur éclat brillant : voilà ce qui a surtout frappé l’imagination des premiers humains, ce qu’elle a traduit sous les formes enfantines des mythes religieux ou poétiques. La science d’aujourd’hui, bien qu’elle mesure avec plus de rigueur la marche et les mouvements des astres, qu’elle interprète plus sûrement les signes qu’ils font briller au firmament, et sache mieux enfin décrire et expliquer leur forme et leur éclat, ne fait après tout qu’éclairer de la lumière de l’expérience et du calcul, mais sans les dépouiller de leur poésie et de leur mystère, ces célestes créatures, où notre âme reconnaît des bienfaitrices et des guides, des créatures privilégiées sans doute, mais aussi des sœurs. Fechner, sur cette voie de l’interprétation des mythes où son imagination mystique