Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
142
revue philosophique

plus de rigueur, se contente de dire : Mon corps est simplement l’organe ou l’instrument de ma sensibilité ; mais ce n’est pas plus la main qui sent que ce n’est l’œil qui voit : c’est le moi. Objectivement, mon corps est un ensemble de points étendus, tangibles, visibles ; subjectivement, il n’est rien qu’un ensemble de sensations. Conséquence : du point de vue de l’observation intérieure, il n’y a point de localisations innées. Pour qu’il y ait localisation, il faut qu’une association s’établisse entre l’observation subjective et l’expérience objective, qu’une fusion s’opère entre les points visibles et tangibles d’une part, les sensations diversement différenciées de l’autre[1] : synthèse qui suppose un moi déjà très exercé à s’observer lui-même. Car tant que ces deux ordres d’éléments n’auront point d’abord été dissociés, puis recombinés, chaque sensation (visuelle ou tactile) ne provoquera qu’une sensation hétérogène (musculaire) : mais il n’y aura point de représentation, conséquemment point de localisation.

C’est ce que n’a point considéré M. Stricker en se déclarant pour l’innéité de toute espèce de localisations. La connaissance du point d’origine d’une impression, selon le savant physiologiste, si elle n’était déjà donnée dans la sensation, ne saurait jamais être acquise par aucun effort ultérieur. « Supposez une personne emprisonnée dans un coffre hermétiquement fermé et obscur : dont les parois externes seraient garnies d’innombrables clochettes. On fait sonner celles-ci en les agitant au hasard, indistinctement. Tout d’abord, le prisonnier ignore de quel côté on a remué les sonnettes ; il l’apprend par l’exercice et l’habitude. Ainsi se comporterait, d’après les adversaires de l’innéité, la conscience de l’enfant : elle recevrait les nouvelles du dehors, sans savoir au début de quel point elles lui viendraient. » Cette supposition, selon M. Stricker, est inadmissible ; voici pourquoi. « Quand j’entends ou que je lis les éléments d’une langue étrangère, dit-il, je puis bien en apprendre l’usage à force d’exercice, car je ne fais qu’entendre, prononcer, lire des choses élémentaires qu’on m’a plusieurs fois répétées. Mais, avant que j’eusse appris à distinguer ces éléments, tout exercice m’était impossible. II en est de même de toute espèce d’exercices. Si le sensorium (la conscience) ne savait pas dès le commencement quels endroits de la périphérie du corps sont intéressés dans chaque impression, tout exercice serait vain, il ne l’apprendrait jamais. »

Dégageons de ces images la théorie delà connaissance qu’elles nous cachent. Toute sensation ou impression affective est, en tant qu’acte formel de connaissance, liée à une représentation, donc

  1. On verra que ces localisations elles-mêmes ne sont point les premières.