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e. beaussire. — du droit naturel.

vient l’objet d’une étude scientifique que lorsqu’il comprend toutes les forces morales qui dominent dans une ou plusieurs sociétés.

C’est l’étude que se proposent l’histoire des mœurs, l’histoire des civilisations et, d’une manière plus générale, la science nouvelle qui a pris le nom barbare de sociologie. Il n’est pas de recherches plus fécondes, soit pour la connaissance historique et philosophique de l’homme, soit pour la direction pratique des sociétés humaines. Une société ne subsiste et ne progresse que par l’harmonie des forces légales et des forces morales qui se partagent son gouvernement. L’homme d’État, le jurisconsulte, le philosophe politique doivent donc étudier les unes et les autres dans le présent et dans le passé ; ils doivent se rendre compte de tous les faits qui tendent à maintenir ou à troubler leur accord ; ils ne doivent, en un mot, jamais perdre de vue les conditions du contrat tacite qui se fait sans cesse dans les consciences entre l’état social et l’état de nature.

L’étude la plus complète des institutions et des mœurs n’épuise pas toute la science des sociétés. Elle ne fait que constater l’existence et le jeu de certaines forces, qui peuvent être bonnes ou mauvaises, utiles ou nuisibles, justes ou injustes. Les forces légales doivent s’appuyer sur les forces morales, sous peine d’être inefficaces :

Quid leges sine moribus
Vanæ proficiant ?

Un sage législateur ménagera donc les sentiments, les traditions, les préjugés mêmes qui conservent quelque crédit dans la société à laquelle il donne des lois. Toutefois, s’il ne doit pas heurter de front ces influences dont il n’est pas le maître et dont l’hostilité serait funeste à son œuvre, il se fera souvent un devoir de ne pas leur demander ses inspirations et de chercher, au contraire, à réagir contre elles par l’action indirecte d’une loi plus éclairée et plus pure. Les forces morales, de leur côté, ne peuvent se passer du concours et de l’appui des forces légales, et elles doivent accepter ce concours et cet appui, alors même qu’ils s’imposent à elles dans les conditions les plus imparfaites. De mauvaises lois valent mieux que l’absence des lois. Les citoyens les plus intelligents et les plus honnêtes ne refuseront donc pas leur obéissance à des lois odieuses, à des lois qui blessent profondément leurs sentiments et leurs convictions. Il peut toutefois se présenter des cas où la résistance à une loi oppressive leur apparaîtra comme un devoir et où ils ne se croiront plus liés par le libre contrat qu’ils ont conclu au fond de leur cœur, dans la sincérité de leur conscience, entre les forces morales et les forces légales auxquelles ils sont également soumis. Il ne suffit donc pas de bien con-