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litatif de la sensation, avec laquelle ils se présentent toujours combinés. Si l’on me demande lequel, de deux plaisirs hétérogènes, celui du théâtre et celui du jeu par exemple, est le plus agréable en soi, je ne saurai que répondre. Mais je n’hésiterai pas à dire lequel des deux est le plus recherché, soit par telle personne, soit par tel groupe de personnes. Je serais également tort embarrassé pour décider si telle théorie astronomique, sur la nature des comètes ou des nébuleuses, contient plus ou moins de savoir, apporte plus ou moins de connaissances, que telle théorie physiologique, sur le rôle des nerfs vaso-moteurs ou la formation du sucre dans le foie. Savoir, en effet, c’est à la fois sentir (ou imaginer) et croire, de même que jouir, c’est à la fois sentir et désirer. En tant que composées de sensations et d’images, les conceptions sont dissemblables comme elles ; mais la foi qu’inspirent à la généralité des savants d’une même nation, dans un même temps, les doctrines fondées sur les faits les plus hétérogènes, ne change pas de nature, parce qu’elle s’applique à l’explication du timbre des instruments après s’être appliquée à la régénération des os par le périoste. On a la preuve de cette similitude quand, par hasard, des doctrines d’origine si distincte viennent à se heurter. Dans ces dernières années, on a vu la confiance des physiciens en la théorie mécanique de la chaleur devenir presque égale à celle des astronomes dans le principe newtonien de l’attraction. Peut-être y a-t-il quelque part un savant, à la fois astronome et physicien, qui, voyant ou s’imaginant voir une contradiction directe entre une conséquence de la loi de l’attraction et une conséquence de la loi de la conservation de la force, éprouve une répugnance précisément égale à sacrifier l’une ou l’autre et se démontre ainsi à lui-même, sans le savoir, par son doute absolu, l’homogénéité de ses deux croyances contraires.

Toute quantité vraie, toute chose susceptible de plus et de moins sans altérations, est conçue comme idéalement ou réellement divisible en unités égales, c’est-à-dire comme mesurable en droit ou en fait. Fût-il prouvé que la croyance et le désir ne comportent aucune mesure effective, il n’en résulterait pas qu’ils ne comportent aucune mesure imaginable. Mais est-il certain qu’aucun moyen ou instrument de mesure ne peut leur être appliqué ? Voilà une seconde question qu’il s’agit d’examiner. Recherchons donc s’il existe ou peut exister : 1o  un mètre individuel ; 2o  un mètre collectif de la croyance et du désir.

I. Si la valeur vénale des objets fournit un mètre approximatif, comme nous le verrons bientôt, des espérances et des convoitises, des goûts et des opinions totalisés du public, il est impossible, je le