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g. tarde. — la croyance et le désir

la même raison que, suivant la loi formulée par Helmholtz dans son Optique, les phénomènes de la vision inutiles pour la connaissance pratique des objets (les mouches volantes, les images accidentelles, etc.), quoique visibles comme les autres, ne sont point vus, si ce n’est par les malades ou les oculistes. Il n’y a de même que les psychologues qui daignent prêter quelque attention à leurs idées ou à leurs sentiments en germe, aux ébranlements légers, et à la ruine lente de leur foi religieuse ou politique, de leurs affections ou de leurs amours. L’homme pratique ne s’aperçoit de ces écroulements intimes que lorsqu’ils sont consommés, par sa liberté d’agir qu’ils lui rendent. Un désir, de même qu’un avis, ne peut être utilisé pour la gestion des affaires publiques ou privées, par bulletin de vote ou acte notarié, qu’à la condition d’être réputé absolu et non relatif. L’homme d’action parait et croit se donner tout entier à tout ce qu’il entreprend. De là bien des inconvénients. On demande, par exemple, au médecin légiste, non pas : « Etes-vous tout à fait, presque, aux trois quarts, à demi convaincu qu’il y a eu empoisonnement ? Croyez-vous à cela autant que vous croyez à l’existence de Thésée et de Romulus, ou à l’existence de Tarquin le Superbe, ou à celle de Louis XIV, ou à celle de votre père ? » mais bien : « Y a-t-il ou n’y a-t-il pas empoisonnement ? » Et, le plus souvent, répondant à cette question, le médecin légiste donne implicitement pour certain ce qui ne laisse pas de lui sembler douteux à quelque degré.

C’est une trop rare marque de probité philosophique de chercher à rendre avec exactitude non seulement la nuance précise de sa pensée, mais le taux de sa confiance en elle. L’exemple de Cournot, de Renan, de Sainte-Beuve, sur ce point, n’a pas été contagieux. On peut s’étonner que, même parmi les logiciens, les demi-affirmations ne comptent pas. Je ne sais pourquoi, notamment dans la théorie du syllogisme, on raisonne toujours comme si les prémisses étaient affirmées ou niées précisément avec la même énergie et sans le moindre doute. Essayons, un instant, de prendre en considération, dans la majeure et la mineure, les divers degrés d’intensité de l’affirmation et de la négation.

J’affirme, par hypothèse, avec une intensité égale à 5, que tout corps pèse, et, avec une intensité égale à 10, que l’air est un corps. N’est-il pas évident que la conclusion : L’air est pesant, devra être affirmée avec une intensité égale à 5 et non à 10 ? J’affirme avec force que nul animal n’est insensible. J’ajoute timidement : Je suis porté à croire que l’éponge est insensible. Conclusion : Je suis porté à croire que l’éponge n’est pas un animal. — On peut expérimenter sur des syllogismes de toute forme ; partout on trou-