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vera que la moindre des deux doses d’affirmation ou de négation contenues dans les prémisses est la seule qui subsiste dans la proposition résultante.

Cette observation bien simple nous permet d’expliquer la nécessité du fait si souvent observé, de ce profond et incurable scepticisme où l’abus du régime déductif fait tomber les raisonneurs. Toute la force de croyance et de désir dont nous disposons et qui s’écoule, non sans déperdition, dans notre conduite et nos pensées, est produite, en effet, ou plutôt provoquée par les expériences continuelles de nos sens. Il est dans la nature de cette double puissance de se transmettre pour se conserver, mais de ne se conserver qu’en se dispersant. La transformation logique exige, nous venons de le voir, une dépense de foi en pure perte, comme le fonctionnement d’une machine une dépense de force inutile. Si donc, sans soumettre les conclusions ainsi produites au contrôle des faits pour augmenter ou annuler la dose de croyance qui leur est afférente, on les emploie telles quelles à de nouvelles déductions, les conclusions nouvelles engendrées par celles-ci leur seront encore inférieures en vigueur affirmative, et, d’exténuation en exténuation (les anciennes idées, comme il arrive d’ordinaire, s’oubliant sans cesse au lieu dé se grossir simplement des nouvelles), on aboutira fatalement au zéro de croyance. Acculé à cette impuissance de rien croire, le logicien n’a plus qu’une ressource : c’est de conjecturer que rien n’est croyable. Par une raison analogue, le moraliste, trop fier de ses passions toutes extirpées, devient inerte et se dit quiétiste.

L’attention prêtée, en logique, au caractère quantitatif de la croyance, y introduirait bien des renouvellements que je ne puis indiquer ici. Je cite la remarque précédente à titre d’exemple.

II. La mesurabilité de la croyance et du désir individuels étant démontrée, il est temps de nous demander si les croyances et les désirs d’individus différents pris en masse peuvent être légitimement totalisés. Ils peuvent l’être, si l’on considère que l’acte de désirer ou de repousser, d’affirmer ou de nier, abstraction faite des objets, c’est-à-dire des sensations ou des souvenirs auxquels il s’applique, est le même, constamment le même, non seulement d’un moment à l’autre d’une vie individuelle, mais d’un individu à l’autre. Ce n’est pas l’aperception immédiate, comme plus haut, qui prouve cette identité ; mais c’est une induction irrésistible qui l’atteste. Nous avons des raisons de penser que la manière de sentir les odeurs ou les saveurs, de voir le bleu, d’entendre le son du violon, d’éprouver les impressions du sixième sens, diffère de Pierre à Paul, de Jean à Jacques ; le cas saillant des daltoniens, des gens qui