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g. tarde. — la croyance et le désir

ont l’oreille fausse ou qui sont enrhumés du cerveau, en est la preuve. Nous concevons qu’une sensation manque à Pierre et que Paul en ait d’un genre à part ; et, de fait, par la pratique journalière et passionnée d’un art, d’une doctrine, par le culte fervent d’une religion longtemps régnante sans opposition, nous voyons se former çà et là, dans l’humanité, sinon des sensations, du moins des demi-sensations surajoutées et en train de devenir des sensations véritables ; il y a eu un sens hégélien en Allemagne, un sens chrétien au moyen âge ; il y a encore un sens poétique, un sens juridique des choses. Et, soit dit en passant, dans ces acquisitions lentes de notre sensibilité, nous prenons sur le fait la transformation des jugements réitérés en notions, des notions en sensations, évolution inverse de celle qu’on remarque seule d’ordinaire, et propre peut-être à suggérer quelque hypothèse vraisemblable sur l’origine première de nos sensations élémentaires chez nos ancêtres reculés. Quoi qu’il en soit, rien n’est inintelligible en tout cela. Mais pouvons-nous concevoir quelqu’un qui ne distinguerait pas entre le oui et le non, comme certains ne distinguent pas entre le vert et le rouge, ou qui, après avoir donné des signes manifestes de ce que nous appelons le désir d’une chose, exprimerait son contentement si cette chose lui était refusée ? Pouvons-nous admettre qu’il y ait deux manières d’écouter, de regarder, comme il y a deux manières d’entendre et d’avoir la rétine affectée ? Les sensations différant d’un homme à un autre, si le croire et le désirer différaient aussi, la tradition ne serait qu’un vain mot ; rien d’humain ne pourrait être transmis inaltéré par une génération à la suivante. Une personne me donne la preuve qu’elle ne sent pas comme moi, elle me devient étrangère et indifférente ; mais elle me donne un démenti, aussitôt je me sens heurté par une force contraire et, par conséquent, semblable à la mienne. Si l’on essayait de m’apaiser en me disant que peut-être elle ne nie pas comme moi, je prendrais cela pour une mauvaise plaisanterie. Par la croyance, par le désir seulement, nous collaborons, nous nous combattons ; par là seulement donc, nous nous ressemblons. Il n’y a pas de meilleure raison à donner.

N’est-il pas clair d’ailleurs que, au fond de toutes les luttes humaines, il y a un oui ou un non, un velle ou un nolle en présence ? Le plus souvent, il est vrai, dans les luttes religieuses, politiques, sociales, deux propositions distinctes et non pas seulement contradictoires, deux desseins hétérogènes et non pas seulement contraires, soulèvent la tempête. Mais elle naît uniquement parce que chaque thèse, en même temps qu’elle s’affirme, nie l’autre, parce que chaque volition fait obstacle à l’autre. L’histoire n’est que