Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
180
revue philosophique

corporer comme phrase incidente d’abord, puis comme idée accessoire, dans une phrase plus compliquée, et que toute œuvre volontaire tend en se répétant à devenir l’instrument d’une action plus haute. Parler, marcher, simple moyen pour l’adulte ; pour l’enfant d’un an, quelle suite d’entreprises hardies ! Pour le soldat exercé, charger, ajuster, cela ne sert qu’à tuer l’ennemi ; pour le conscrit, autant de manœuvres, autant de fins distinctes, laborieusement poursuivies. Je dis : « ce cheval galope ; » quelle multitude d’anciennes phrases emmagasinées dans cette phrase ! Il y en a deux d’abord, clairement apparentes, qui ont dû la précéder sans laisser de trace en moi : « cet animal est un cheval ; cette allure est le galop ; » mais, sous les idées d’animal et d’allure, j’en découvre d’autres, celles de couleur, de forme, de vitesse, etc., dont l’acquisition lente et successive a coûté à ma première enfance des milliers d’efforts de discernement et de jonction d’images.

Ce qu’on peut contester avec une apparence de raison, c’est que la notion soit l’équivalent des sommes de croyance, et l’habitude l’équivalent des sommes de désir dépensées à les produire, ut que sous ces nouvelles formes ces quantités psychologiques se conservent sans perte, comme la force motrice des physiciens. Pour donner ici un sens à cette idée d’équivalence, pour rendre intelligible cette conservation des forces internes, il serait nécessaire de faire appel à une certaine manière, dont nous n’avons pas à nous occuper, d’entendre l’hypothèse des monades. Mais on peut en dire autant, ou à peu près, du principe physique de la conservation de l’énergie, qui — à moins d’additionner pêle-mêle sous le couvert du même vocable énergie. deux choses hétérogènes, le mouvement possible et le mouvement réel, l’énergie dite potentielle et l’énergie dite actuelle — nous oblige à tenir pour vraie l’hypothèse des atomes entre lesquels se disséminerait, en se dissimulant sans bénéfice ni perte, une même quantité de mouvement. Le seul fait qu’on ne puisse nier ici et là, c’est que des quantités de mouvement, de foi et de désir ont été consommées. Quant à savoir si cette dépense a été une transsubstantiation ou un déguisement, c’est une question qu’on peut réserver.

G. Tarde.
(La fin prochainement.)