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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

nément, fut prise en couche d’une longue syncope à la suite de laquelle elle avait perdu la mémoire du temps qui s’était écoulé depuis son mariage inclusivement. Elle se rappelait très exactement tout le reste de sa vie jusque-là… Elle repoussa avec effroi dans les premiers instants son mari et son enfant qu’on lui présentait. Depuis, elle n’a jamais pu recouvrer la mémoire de cette période de sa vie ni des événements qui l’ont accompagnée. Ses parents et ses amis sont parvenus, par raison et par l’autorité de leur témoignage, à lui persuader qu’elle est mariée et qu’elle a un fils. Elle les croit, parce qu’elle aime mieux penser qu’elle a perdu le souvenir d’une année que de les croire tous des imposteurs. Mais sa conviction, sa conscience intime n’y est pour rien. Elle voit là son mari et son enfant sans pouvoir s’imaginer par quelle magie elle a acquis l’un et donné le jour à l’autre[1]. »

Nous avons là un exemple d’amnésie irréparable, s’étendant en arrière seulement. Quant à sa raison psychologique, on peut la trouver également dans une destruction des résidus et dans une impossibilité de la reproduction. Dans le cas suivant, rapporté par Laycock, l’amnésie ne s’étend qu’en avant et ne peut être attribuée par conséquent qu’à une impossibilité pour les états de conscience d’être enregistrés et conservés. Le mécanicien d’un navire à vapeur tombe sur le dos ; le derrière de sa tête heurte contre un objet dur ; il reste quelque temps inconscient. Revenu à lui, il recouvre assez vite une parfaite santé physique ; il conserve le souvenir de toutes les années écoulées jusqu’à son accident ; mais à partir de ce moment, la mémoire n’existe plus, même pour les faits strictement personnels. « En arrivant à l’hôpital, il ne peut dire s’il est venu à pied, en voiture ou par le chemin de fer. En sortant de déjeuner, il oublie qu’il vient de le faire : il n’a aucune idée de l’heure, ni du, jour, ni de la semaine. Il essaye par la réflexion de répondre aux questions qui lui sont posées ; il n’y parvient pas. Sa parole est lente, mais précise. Il dit ce qu’il veut dire et lit correctement. » Cette infirmité disparut, grâce à une médication appropriée[2].

En général, dans les cas d’amnésie temporaire dus à une com-

  1. Lettre de Charles Villiers à G. Cuvier, Paris, Lenormant, 1802, citée dans Louyer Villermay, Essai sur les maladies de la mémoire, p. 76-77. Ce petit travail de L. Villermay, dont il n’y a d’ailleurs pas beaucoup à tirer, a paru dans les Mémoires de la Société de médecine de Paris, 1817, t. I.
  2. Laycock, On certains disorders and defects of memory, p. 12. Cette perte de la mémoire, due à une commotion, n’est pas rare. Un cas récent a été communiqué par le Dr Motet à la Société de médecine de Paris et a donné lieu a une intéressante discussion sur l’amnésie temporaire. Voir l’Union médical du 10 juin 1879.