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motion cérébrale, il se produit un effet rétroactif. Le malade, en reprenant conscience, n’a pas seulement perdu le souvenir de l’accident et de la période qui l’a suivi ; il a aussi perdu le souvenir d’une période plus ou moins longue antérieure à l’accident. On en pourrait donner de nombreux exemples ; je n’en cite qu’un, rapporté par Carpenter (Mental physiology, p. 430) : « Un homme conduisait en cabriolet sa femme et son enfant. Le cheval, pris de frayeur, s’emporta. Après de vains efforts pour en devenir maître, le conducteur fut jeté violemment à terre et reçut une forte secousse du cerveau. En revenant à lui, il avait oublié les antécédents immédiats de l’accident. La dernière chose qu’il se rappelât, c’était la rencontre d’un ami sur sa route, à environ deux milles de l’endroit où il avait été renversé. Mais il n’a recouvré, jusqu’à ce jour, aucun souvenir de ses efforts pour maîtriser le cheval, ni de la terreur de sa femme et de son enfant[1]. »

Voici maintenant des cas d’amnésie d’un caractère beaucoup plus grave, dont quelques-uns ont nécessité une rééducation complète. Je les emprunte à la revue anglaise Brain.

La première observation, rapportée par le Dr Mortimer Granville, est celle d’une femme de 26 ans, hystérique, qui, à la suite d’un travail excessif, fut prise d’une crise violente avec perte complète de conscience. « Quand la conscience commença à revenir, les dernières idées saines formées avant la maladie se mêlaient d’une manière bizarre aux nouvelles impressions reçues, comme dans le cas où l’on sort lentement d’un rêve. Assise sur son lit près de la fenêtre pour voir les passants, dans la rue, la malade appelait tous les objets mouvants « des arbres en marche », et, quand on lui demandait où elle avait vu ces choses, elle répondait invariablement : « Dans l’autre Évangile. » En un mot, dans son état mental, l’idéal et le réel ne se distinguaient pas. Ses souvenirs étaient indistincts, et, en ce qui concerne un grand nombre de choses ordinaires qui constituaient le fond principal de ses pensées avant son attaque, sa mémoire était nulle. Les idées immédiatement antérieures à la maladie semblaient avoir si bien saturé son esprit, que les premières impressions qu’elle reçut en étaient tout imprégnées, tandis que l’enregistrement de l’avant-dernier travail cérébral était pour ainsi dire oblitéré. Par exemple, quoique cette femme gagnât sa vie en donnant des leçons, elle n’avait aucun souvenir d’une chose aussi simple que de ce qui sert à écrire. Si on lui mettait une plume ou un crayon dans la main,

  1. On trouvera d’autres cas de ce genre dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art. Amnésie, par J. Falret, p. 728.