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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

formés pendant la période de santé, souvent répétés. Entre le complexus nouveau qui tend faiblement à s’établir et les complexus anciens qui sont fortement établis, la lutte est très inégale. Il y a donc toutes les chances possibles pour que les anciennes combinaisons soient suscitées plus tard, même au lieu et place de la nouvelle.

Ces indications suffisent. Remarquons d’ailleurs que cette hypothèse sur la cause de l’amnésie progressive est d’importance secondaire. Qu’on l’accepte ou non, cela ne change rien à la valeur de notre loi.


IV


Il y a peu à dire des amnésies congénitales. J’en parlerai, pour ne rien omettre. Elles se rencontrent chez les idiots, les imbéciles et à un degré plus faible chez les crétins. La plupart d’entre eux sont affligés d’une débilité générale de la mémoire. Variable selon les individus, elle peut tomber si bas chez quelques-uns qu’elle rend impossibles l’acquisition et la conservation de ces habitudes très simples qui constituent la routine journalière de la vie.

Mais, si l’affaiblissement général de la mémoire est la règle, on rencontre dans la pratique de fréquentes exceptions. Parmi ces infirmes, il y en a qui, dans un domaine limité, ont une mémoire très remarquable.

On a observé que, chez beaucoup d’idiots et d’imbéciles, les sens sont atteints inégalement : ainsi l’ouïe peut avoir une finesse et une précision supérieures, tandis que les autres sens sont obtus. L’arrêt de développement n’est pas uniforme sur tous les points. Il n’est donc pas étonnant que l’affaiblissement général de la mémoire coïncide chez le même homme avec l’évolution et même l’hypertrophie d’une mémoire particulière. Ainsi certains idiots, réfractaires à toute autre impression, ont un goût très vif pour la musique et peuvent retenir un air qu’ils n’ont entendu qu’une seule fois. D’autres (le cas est plus rare) ont la mémoire des formes, des couleurs et montrent une certaine aptitude pour le dessin. On rencontre plus fréquemment la mémoire des chiffres, des dates, des noms propres, des mots en général. « Un imbécile se rappelait le jour de chaque enterrement fait dans une paroisse, depuis trente-cinq ans. Il pouvait répéter avec une invariable exactitude le nom et l’âge des décé-