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naissons pas la cause dernière et essentielle du plaisir. Mais quand même, dit-il, nous ne la connaîtrions pas, nous ne serions pas pour cela dispensés de rechercher les causes particulières, soit intérieures, soit extérieures du plaisir, c’est-à-dire les lois de sa naissance, de son accroissement, etc., dans les circonstances particulières où il se produit. Or, c’est à cette recherche que se borne l’objet de son livre ; il n’étudie pas le principe du plaisir, mais la marche des sensations, la succession des faits psychiques.

L’auteur n’insiste pas sur ce premier point, qu’il se borne à signaler. Les objections, en effet, sont les mêmes que celles qui s’adressent au positivisme en général et à la manière dont il entend la science humaine, sa portée et ses limites supérieures nécessaires.

Sa critique porte plutôt sur le second point, la question du vrai beau et du bon goût. Quelle est ici la règle ? Quel est le critérium du bon et du mauvais goût, du vrai beau et du laid ? Où trouver la mesure ?

Ce problème, Fechner le résout un peu naïvement. En effet, le beau véritable, pour lui, c’est ce qui ne contredit pas les lois du développement humain. Rien de ce qui est contraire à la santé physique et spirituelle, à la religiosité, à la moralité, n’est beau et ne doit être permis dans les œuvres de l’art. Voilà le critérium clair de l’empirisme. Mais d’abord qui ne voit qu’il est tout négatif ? Ensuite d’où vient-il ? Où est-il pris ? Evidemment dans la morale ; c’est elle qui fournit la règle. Dans cette école, comme ailleurs, on est bien forcé de convenir, en effet, qu’il y a un bon et un mauvais goût. Comment le discerner ? On l’a vu. Le criterium esthétique des lois se confond avec la règle morale. Le beau c’est le bien ou ce qui s’accorde avec lui. Le beau, c’est aussi le vrai, ce qui est conforme à la loi du développement humain. On avait interdit ces problèmes ; ils reparaissent. La méthode, veut cependant qu’on se borne à constater les faits, elle défend de les juger. De plus, on emprunte ailleurs ce que la science elle-même ne saurait donner.

Ceci est hautement significatif pour cette méthode, dit notre auteur. Il est clair qu’elle ne peut rester sur son propre terrain. Ce n’est pas tout. Si on lui demande comment la solution qu’elle va chercher ailleurs pour répondre à un problème qu’elle s’interdit de traiter, s’accorde avec le caractère fondamental du beau d’après sa définition, alors ce fait si clair perd sa clarté. Evidemment le bon goût, qui plaît, ne plaît plus immédiatement ; il plaît ou plutôt il doit plaire parce qu’il est conforme à une idée, l’idée du bon ou du bien que recèle ce jugement. Cela est vraiment beau qui est vraiment bon, conforme aux règles du bien en soi. Le vrai plaisir esthétique devient identique au plaisir moral. L’esthétique, comme ou l’a dit, se confond avec la morale. Cela est évident. De plus, le critérium devient objectif, ou il perd toute sa valeur. Toute différence qualitative du bon et du mauvais dans le goût comme dans la morale s’évanouit. L’esthétique devait rester une branche de la psychologie, décrire et rechercher des faits, en constater les lois ; elle sort ici de son domaine et confesse son impuissance.