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association nouvelle. Mais il peut se présenter un autre cas. Au lieu d’une idée concrète, c’est parfois un caractère abstrait d’une des idées présentes qui s’isole et qui, sans être par lui-même l’objet d’une attention spéciale, sans même que la conscience y prenne garde, donne naissance à une nouvelle association. Il ne disparaît plus, comme dans les cas précédents, pour faire place à l’idée qu’il a amenée ; il demeure et établit un lien entre l’idée antérieure et l’idée nouvelle, qui sont, grâce à lui, comme soudées l’une à l’autre. Ainsi la lune peut faire penser à la lumière du gaz ou à un ballon ; dans chacun de ces cas, il y a entre les idées rappelées une partie commune, ici l’éclat, là la forme. Lorsque deux idées sont ainsi rapprochées, on dit qu’elles sont semblables. Les associations de cet ordre s’appellent associations par similarité ; on voit aisément que la similarité est une identité partielle.

Comment se fait le rapprochement ? Sans doute encore il dépend de causes physiologiques qui nous sont inconnues. Peut-être aussi, ces causes sont-elles insuffisantes et faut-il tenir compte d’une action dynamique de la conscience sur son contenu. Mais c’est une question qu’il est inutile de soulever ici. Peut-être, et ce serait une grande découverte, la physiologie nous montrera-t-elle un jour à quelles différences mécaniques ou chimiques correspond, du côté de l’esprit, la propriété d’être assujetti à la loi de contiguïté, ou au contraire la liberté qui se joue à l’aise au milieu des rapports toujours variés de la similarité.

Ce qui est certain, c’est que la différence entre les associations par contiguïté et les associations par similarité est ce qui distingue les hommes vulgaires et les esprits originaux, la routine et le génie. La pensée des uns suit toujours le grand et large courant tracé dans le cerveau par l’habitude ; les idées des autres rayonnent en tous sens, se frayent des chemins nouveaux, mettent en communication incessante, comme autant de foyers, les divers points où se répand leur infatigable activité.

Mais, quelles que soient ces différences, la même loi fondamentale est toujours obéie ; l’activité du cerveau et de la pensée est la même dans tous les cas. Qu’ils se réunissent en un même chemin ou qu’ils se propagent dans des sentiers reliés les uns aux autres, les courants nerveux sont toujours les mêmes, et c’est toujours aux mêmes lois du mouvement qu’ils sont soumis.

Victor Brochard.