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surtout que le désaccord éclate. Mon être, ma personne se dédouble. Il y a en moi deux moi, l’un fini, l’autre infini, et l’un rit de l’autre.

Le moi donc joué le premier rôle chez tout humoriste ; il se prend lui-même pour objet ; il rit de sa propre folie. Mais ce rire n’est pas celui de l’égoïsme ou de la vanité ; aussi le spectateur ne peut le haïr. Un moi qui s’exécute ainsi lui-même n’a plus rien d’odieux ; ce dont il rit en se prenant pour objet, c’est l’universelle folie ; mais il faut savoir goûter ce qu’il y a d’élevé dans cette plaisanterie vraiment humoristique, car elle est bien différente de ce comique vulgaire qui ne s’élève pas au-dessus des intérêts matériels de la vie et qui n’en confesse les maux et les misères que pour s’en vanter ou s’en amuser.

4o L’humour, dans le poète et dans l’artiste, exige une grande richesse d’imagination sensible (Sinnliclikeit). Si déjà le comique en général demande une vive peinture des caractères et des situations, à plus forte raison l’humour a besoin des couleurs les plus fortes, des traits les plus variés et les plus frappants. Une exubérance d’images, les rapprochements et les contrastes où s’exerce l’esprit de saillie, toutes les fantaisies de l’imagination sont ici à leur place et concourent à l’effet voulu. C’est un moyen de faire passer devant ce miroir concave toute la fantasmagorie des formes du monde sensible. Leur multiplicité d’ailleurs ne fait que mieux ressortir le contraste avec l’idée de l’infini. Il en est comme au dernier jour, où le monde doit rentrer dans le chaos en attendant le jugement de Dieu. L’esprit positif (Verstand) ne peut habiter que dans un monde régulièrement construit. La raison supérieure (Vernunft), au contraire, comme Dieu, ne saurait s’enfermer dans des limites.

Nous ne poursuivrons pas plus loin l’exposé de cette théorie, que son auteur applique ensuite aux divers genres de poésie, lyrique, dramatique, épique. L’esprit de saillie (Witz) la complète. Il contient une foule de fines et délicates analyses et souvent des pensées profondes dont l’esthétique, comme science empirique, ou la psychologie du beau a fait son profit. Nous avons dû nous borner à présenter sous les yeux du lecteur, dans ses traits essentiels, la partie qui nous intéresse et qui occupe une place si importante dans l’histoire de notre problème. Nous savons toutes les critiques qu’on peut lui adresser. L’esthétique n’en fait pas moins une conquête importante et qui ne peut lui être disputée.