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bénard. — la théorie du comique.

deur elle-même. La parodie place la petitesse à côté de la grandeur ; lui il élève le petit pour rabaisser le grand.

L’humour détruit l’un par l’autre, parce que devant l’infini tout est égal ou n’est que néant. L’humour se distingue de la plaisanterie ordinaire en ce qu’il est doux et tolérant à l’égard de toutes les sottises particulières. L’humoriste ne renie pas sa parenté avec l’humanité. Le plaisant ordinaire, qui s’attache à quelques traits isolés de la sottise, se renferme dans sa suffisance et la conscience de sa supériorité ; mais lui, qui rit de tout, rit aussi de lui-même. L’ironie est froide ; l’humour réchauffe l’âme par le sentiment de la sympathie qui est au fond de ses plus mordantes plaisanteries.

L’humoriste, plein de sensibilité, n’a aucun point de contact avec le froid persifleur, qui manque absolument de cœur et de sentiment.

2o Le second caractère est l’idée anéantissante (vernichtende Idee). L’humour anéantit tout ce qui est fini, pour ne laisser subsister que l’infini, en présence duquel le fini n’est rien, est un pur néant. C’est l’essence même de l’humour. Quand on compare le monde réel au monde idéal ou infini que conçoit la raison, la petitesse et la vanité du premier à la grandeur du second, alors naît ce rire particulier où se mêle à la fois la tristesse à la joie. Aussi, de même que la poésie grecque est sereine comparée à la poésie moderne, qui est sérieuse, de même l’humour est en partie sérieux comparé à la plaisanterie antique. Il marche chaussé de l’humble socque, mais souvent avec le masque tragique à la main. Tous les grands humoristes sont sérieux, et nous devons les meilleurs à un peuple mélancolique, les Anglais. Les anciens avaient un sentiment trop joyeux de l’existence pour connaître ce sérieux humoristique. Ce sérieux est dans l’humour ; il est au fond de toutes les productions de l’art où se mêlent le tragique et le comique, deux termes opposés de la pensée qui s’appellent ici l’un l’autre, comme le risible et le pathétique, le sublime et le ridicule.

La puissance destructive de l’humour se révèle partout. Voilà pourquoi il se plaît dans les contradictions et les impossibilités de tout genre. Pour lui, les affections humaines, les passions, l’amour ont toujours un dénouement misérable qui fait éclater leur vanité. Le scepticisme fait de même, lui qui naît du spectacle des opinions humaines, de leur effrayante diversité et mobilité.

3o En opposition avec l’objectivité classique, l’humour est essentiellement subjectif. Cet infini auquel il aspire, devant lequel s’anéantit le fini, où est-il ? En nous : en moi seul il habite et je le trouve. Le monde extérieur ne le contient pas. Aussi c’est en moi