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vote (le l’électeur, en manifestant son désir de donner le commandement à Pierre, atteste la jalousie que lui inspire Paul, et indirectement la supériorité qu’il est forcé de lui reconnaître. N’aurons-nous aucun égard à ces faits connus de tous ?

Bien que la volonté nationale, fondement de notre souveraineté actuelle, soit un composé de désir et de croyance, le désir y prédomine grandement. Le danger de cette subordination du côté rationnel de l’homme à son côté passionnel serait encore bien plus apparent si la volonté du peuple se traduisait par un procédé plus rigoureux que notre suffrage universel. Apparemment, puisque l’on compte les volontés, c’est qu’on les croit homogènes et mesurables, et, on le voit, je serais mal venu à y contredire. Mais alors il faut aller jusqu’au bout. Compter les volontés ne suffit pas, il faudrait les peser pour connaître exactement la quantité de la volonté, du désir collectif. Ce serait ardu, j’en conviens ; mais, après tout, est-il donc si chimérique de supposer qu’on trouverait en le cherchant bien un mètre pratique quelconque pour déterminer approximativement l’énergie des volontés et des désirs individuels, afin d’éviter l’erreur évidente où l’on tombe en les regardant comme égaux entre eux ? Donner au vote de chaque électeur une valeur numérique proportionnée aux sacrifices pécuniaires ou autres, aux mois de prison, par exemple, qu’il aurait faits antérieurement en vue du triomphe de son parti, cela paraîtrait absurde, et cela serait la logique même. On ne voit assurément pas pourquoi l’électeur, au lieu de vendre sa voix, comme on assure qu’il le fait parfois, n’achèterait pas au contraire l’exercice de son droit civique, comme il achète en papier timbré, en « droits d’enregistrement, en honoraires, en impôts, l’exercice de tous ses droits civils, droit de vendre, droit d’acheter, droit de se marier, droit de défendre en justice ses droits. Ce système, après tout, serait moins déraisonnable que le système opposé, pratiqué à Athènes, où l’on était payé pour la peine qu’on prenait en exerçant ses droits politiques. Plaisante idée, qui aurait bien dû être complétée en matière purement civile par des primes offertes aux plaideurs ! On m’accordera, je pense, que l’inverse vaudrait mieux, quoique je sois loin de le proposer. Mais ne voit-on pas la force prépondérante que donnerait tout à coup aux partis extrêmes, aux minorités violentes, ce pesage des désirs, cette valeur du vote proportionnée à leur énergie, à l’intensité des ambitions et des appétits ? Car la fureur destructive de dix jacobins l’emporte à coup sûr, et de beaucoup, sur l’ardeur contraire de cent girondins. Par suite, la prétention à l’omnipotence qu’affiche le petit nombre de ces fanatiques, loin de contredire en rien le principe de la souveraineté du désir national