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a. binet. — de la fusion des sensations semblables

Or il résulte de la loi de fusion des états de conscience semblables que deux impressions qui diffèrent restent distinctes, tandis que deux impressions semblables se fusionnent et font l’effet d’une impression unique. Lorsque les deux pointes du compas auront éveillé deux sensations différentes, les deux sensations restant distinctes, nous percevrons séparément les deux pointes du compas. Au contraire lorsque les deux pointes auront provoqué deux sensations identiques, ces deux sensations se fusionnant, nous croirons n’en éprouver qu’une seule. L’explication est, on le voit, très simple et très facile à comprendre ; et ce n’est pas un de ses moindres mérites de mettre en lumière cette propriété importante de la loi de ressemblance, la fusion des sensations semblables.

Reprenons avec soin toutes les parties de ce résumé. En premier lieu, quelle raison avons-nous de croire que tous les points de notre peau ont une manière différente de sentir le contact des objets extérieurs[1] ?

Je ne développerai qu’une seule des raisons qu’on peut donner à l’appui, celle qui est tirée du phénomène de la localisation. C’est la plus frappante. Lorsqu’on touche une personne sur n’importe quelle partie de son corps, elle sait très bien dire l’endroit où on l’a touchée ; elle ne rapportera pas au bras une sensation dont le siège est à la tête. Cette connaissance du lieu de la sensation n’est pas innée, elle est acquise, et la manière dont elle se forme est assez simple à décrire. Nous avons appris par l’expérience que lorsque nous éprouvons telle sensation tactile, une pression a lieu sur le bras ; lorsque nous éprouvons telle autre sensation, une pression a lieu sur l’orteil, et ainsi de suite. Avec le temps, nous avons rattaché une sensation tactile déterminée avec la vue de notre bras, une autre avec la vue de notre orteil ; et enfin chaque sensation différente avec la vue d’une région différente de notre corps. Lorsqu’on vient à presser, à piquer ou à pincer notre corps, la sensation propre de la partie affectée éveille l’image oculaire de cette partie par la seule force de l’association ; c’est une loi mentale que, lorsque deux sensations ont été perçues en contiguïté, elles adhèrent de telle sorte que si l’une se reproduit elle tend à suggérer l’autre. Ici la suggestion se fait si rapidement que nous nous représentons l’image de la région touchée presque au moment même où nous recevons la sensation tactile. La localisation n’est pas autre chose.

  1. Cette opinion a été défendue en Allemagne, sous le nom de Théorie des signes locaux, par Lotze, Wundt et Helmholtz. Ces penseurs ont été conduits à reconnaître un signe local à chaque sensation visuelle et tactile localisable, en expliquant la genèse de la notion d’espace.