Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
21
e. beaussire. — du droit naturel.


VIII


L’étude du droit, comme l’étude de la morale, est une étude psychologique. Chaque droit est un titre personnel, inhérent à la nature morale d’une personne déterminée. La psychologie du droit n’exige pas les subtiles et délicates analyses de la psychologie morale. Elle ne se contente pas cependant de notions vagues et générales. Il faut bien connaître l’homme pour se faire une idée exacte de ses droits : non pas cet homme abstrait que l’ancienne psychologie aimait à se représenter, mais l’homme réel, le produit d’une race, d’une civilisation, d’une société particulière. Il faut le maintenir dans le milieu où agissent ses facultés, dans le cercle des intérêts auxquels se rapportent ses droits, dans le cercle des idées qui, pour lui et pour ses contemporains, en éclairent et en dirigent l’exercice. Les recherches historiques et surtout l’étude approfondie des institutions, des lois, des traités, viennent ici, plus que partout ailleurs, en aide à la psychologie. Le droit repose sur des fondements fixes ; mais il n’apparaît et ne se développe que dans certaines conditions appropriées à ses revendications. Il est bien évident que la liberté des opinions a pris un caractère tout nouveau depuis la découverte de l’imprimerie. Il n’est pas moins certain que l’idée de la liberté religieuse n’a pu germer et mûrir dans les consciences qu’après l’établissement d’une grande religion dont les dogmes, les rites et le gouvernement ne sont pas une partie intégrante et nécessaire des institutions politiques. Qui ne voit également que la liberté politique ne saurait représenter les mêmes idées pour les grands Etats modernes que pour les petites républiques de l’antiquité ? Il faut tenir compte de toutes les conditions des faits sociaux pour apprécier à sa juste valeur et dans sa réalité vivante cet ordre de faits qu’on appelle des droits.

L’étude du droit ne saurait toutefois se renfermer dans la réalité historique ou sociale. Le droit naturel est toujours un idéal, auquel la réalité ne se conforme jamais entièrement et qui, dans tous les cas, se conçoit en dehors et au-dessus de la réalité pour servir à la juger. L’opposition de l’idéal et du réel, dans l’ordre juridique, est la question fondamentale du droit naturel. Elle donne lieu aux appréciations les plus délicates pour le législateur, le jurisconsulte ou le politique, aux conflits les plus douloureux pour les consciences. Tantôt l’idéal apparaît comme une de ces hautes conceptions qui