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exprimer que des opinions philosophiques et, à ce titre, relèvent de la science de l’esprit. Il est satisfaisant, certes, pour l’imagination, de voir apparaître tour à tour, supérieures après inférieures, les formes du règne végétal ou animal ; mais cette continuité apparente ne va pas sans une discontinuité cachée. Allons plus loin, et supposons un état de choses tout imaginaire. L’expérience a livré des secrets merveilleux : dans le laboratoire d’un Liebig ou d’un Berthelot de l’avenir, malgré l’élimination des germes invisibles de l’air, ces terribles ennemis de la génération spontanée, une masse de matière protoplasmique, embryon d’une espèce inconnue, a pris naissance. Même alors le transformisme mécanique aurait tort de triompher.

C’est qu’en effet la réduction aux causes, mécaniques ou physiques, n’implique en rien une réduction des essences. La loi rationnelle de causalité n’embrasse que l’ordre de succession ou de coexistence invariable des phénomènes. Croire que les rapports de temps ou de lieu constatés par le physicien, l’astronome, le biologiste, atteignent l’essence des choses, c’est faire de la mythologie scientifique et prendre le vénérable Chronos, « au sablier intarissable, » pour le générateur universel des êtres. Autrement dit, le fait de décomposer ou de produire physiquement un organisme vivant n’expliquerait pas plus la nature propre de la vie que le fait de démonter ou de construire une montre n’explique la nature de la pesanteur. Trouver les conditions mécaniques d’une organisation définie, si c’était possible, et à l’aide de celles-là déterminer celle-ci, ce ne serait pas plus tirer la vie de la matière brute et inanimée que l’horloger ne tire le mouvement par voie de création ex nihilo des roues et des ressorts inertes qu’il ajuste. Ce serait simplement utiliser les forces virtuelles de la nature.

Le transformisme radical — et c’est là son grand intérêt — affiche la prétention contraire de simplifier le nombre de ces attributs de l’inconnaissable, en réduisant les forces biologiques aux forces physicochimiques. Le physiologiste qui a le plus fait en ce siècle pour cette réduction a répondu en démontrant que la puissance évolutive de l’ovule, y compris les phénomènes de génération, de nutrition et d’organisation qui s’y rattachent, forme un quid proprium de la vie. « Il est clair, a-t-il écrit, que cette propriété évolutive de l’œuf, qui produira un mammifère, un oiseau ou un poisson, n’est ni de la physique ni de la chimie. »

Il est nécessaire, pour comprendre ce qui suit, de ne point perdre de vue ces vérités biologiques, résultat suprême de l’expérience positive. Le darwinisme en est la négation. Dans sa brochure, à laquelle nous revenons, M. A. Wigand passe en revue d’abord les hypothèses, puis les faits propres à cette doctrine ; il continue par la critique de ses principes, et enfin il en apprécie la signification morale et religieuse.