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naisse en partie au moins les faits explicatifs. Or la réalité, dit Wigand, ne nous offre rien qui ressemble à la variabilité, à l’hérédité et à la concurrence vitale, au sens darwinien. La variabilité ; loin d’être indéfinie, est limitée et définie ; la transmissibilité des déviations individuelles, loin d’être absolue et graduellement ascendante, est tout à fait bornée et se réduit à la transmission du caractère spécifique. Nulle part on ne voit cette « concurrence entre des individus de même genre », d’où sortiraient des propriétés originales, premiers linéaments des nouveaux types organiques. Très souvent, sans en rien dire, Darwin attribue à la variabilité une direction et des bornes, si bien qu’insensiblement c’est une tendance formatrice des organismes suivant une ligne préconçue qui est prise pour principe d’explication. Que reste-t-il alors du principe de sélection ?

Même incompatibilité entre la lutte pour l’existence et nombre d’hypothèses darwiniennes. Cette concurrence vitale suppose une rencontre de circonstances si habilement calculée et si extraordinairement fortuite à la fois, qu’on est obligé pour la comprendre d’admettre un enchaînement de faits providentiel.

Il est une autre inconséquence à noter. Quand le principe de sélection ne lui suffit pas, Darwin invoque l’influence de l’usage et de l’habitude ou l’action directe des agents extérieurs. Souvent il combine ces trois modes d’explication, laissant au lecteur le soin de choisir entre ces principes tout à fait hétérogènes, « qui ne peuvent ni se combiner ensemble ni se remplacer mutuellement. » Cette abondance de moyens n’est que pauvreté.

Une remarque générale qui s’applique ici, c’est que Darwin a l’habitude de dériver un fait d’un autre pour le moins aussi inconnu que le premier, en un mot d’expliquer obscurum per obscurum. Ainsi, d’une part il tire les formes végétales ou animales de leurs primitives ébauches au moyen de petites variations insensibles : or ces petites variations elles-mêmes auraient tout autant besoin d’être expliquées et rattachées à leurs causes que ces formes achevées, car elles sont tout aussi obscures, D’autre part, Darwin se plaît à invoquer, sans plus, l’influence indirectement modificatrice du monde extérieur qui pour le moins, vu l’infinie complication et le caractère en apparence fortuit de ses phénomènes, est encore plus mystérieux que l’organisme vivant. Voyez encore : on explique les formes existantes connues en imaginant en dehors de celle-là d’innombrables formes inconnues ; on explique les organes rudimentaires à l’aide d’une manière d’agir fonctionnelle de ces organes qu’on déclare disparue et dont on ne sait rien ; révolution individuelle est expliquée par la phylogenèse qu’on ne connaît pas, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on arrive à la fiction d’une cellule primordiale, à l’hypothèse d’un état primitivement homogène de la matière cosmique.

Le reproche suivant part d’un sérieux esprit philosophique. La théorie darwinienne a le tort de prendre pour une explication la réduction