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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

je voulais lui faire chanter « J’ai du bon tabac » ou les airs de la Fille de madame Angot, elle souriait de pitié, et haussait les épaules, pleine de dédain. Souvent, chez les somnambules, j’ai observé pareil mépris pour les choses vulgaires.

Quoi qu’il en soit, ce qui domine la scène, c’est l’automatisme, et cet automatisme fait que toute l’intelligence est devenue l’esclave des idées qu’on fait naître. Ainsi par exemple je dis à V… : « Caresse ce chien. » Aussitôt elle va le caresser. Si le chien cherche à se dérober à cette étreinte, V… court après lui, le suit dans tous ses détours ; s’il sort de la pièce, essaye de le rejoindre. Si l’on met un fauteuil ou un banc pour l’empêcher de passer, elle renverse cet obstacle, ou, si elle n’y réussit pas, s’en irrite et le repousse avec colère. Mais à un signe elle s’arrête, encore toute tremblante de colère et d’indignation. Je peux lui donner un objet quelconque, un crayon par exemple, en lui défendant de le laisser prendre à qui que ce soit. Que si alors un des assistants veut s’en emparer, elle fera une résistance désespérée, courant à travers la chambre, se débattant, mordant, donnant des coups de pied, dans un état d’indignation et de fureur dont on ne saurait avoir une idée si l’on n’a pas assisté à de pareilles scènes. Les magnétiseurs de profession se plaisent à montrer au public de pareilles scènes, et les sceptiques s’imaginent qu’elles sont simulées. Certes elles pourraient l’être, car il n’y a là aucun phénomène qu’il soit impossible de simuler. Cela n’est pas feint cependant, et rien n’est plus réel que cette subordination de toutes les forces intellectuelles à un ordre exprimé verbalement. Il semble que le sujet endormi n’ait d’autre souci que de se conformer à l’indication reçue. Une idée a ébranlé son intelligence, et cette idée est devenue souveraine dominatrice. Le reste n’est plus rien. Tout est sombre à côté de cette idée unique, lumineuse. Aussi tout ce qui peut entraver l’exécution est rejeté et repoussé avec colère. Si je dis à A… de s’habiller et de sortir, elle va aussitôt prendre les objets nécessaires à sa toilette ; elle réfléchit d’abord, puis, après avoir bien réfléchi, va, les yeux fermés, chercher l’objet à la place qu’il doit occuper. La méditation de l’acte est lente, mais l’acte est accompli avec une vivacité extraordinaire. Si une serrure, un cordon ou tout autre obstacle offrent quelque résistance, A… s’impatiente, s’irrite et bouleverse avec colère tout ce qui s’oppose à son intention. Les mouvements sont fébriles et saccadés, mais d’une remarquable précision. Elle s’arrête quelquefois, comme épuisée par l’effort qu’elle vient de faire ; mais bientôt elle recommence avec une ardeur nouvelle. Cependant elle se parle à elle-même, s’inquiète de ce qu’on pensera quand elle viendra, suppose qu’elle arrivera en retard ; en un mot, toutes les forces de son être