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lumineuse ; pourtant on la dit opaque et sombre ; elle a tantôt la forme d’un disque, tantôt l’aspect d’un croissant, et l’on assure qu’elle est sphérique ; enfin ses proportions croissent ou décroissent à mes yeux sans que jamais elle dépasse la largeur d’un shilling, et cependant on lui mesure plusieurs millions de milles de diamètre. Or, s’il est un principe inébranlable en philosophie, c’est celui de contradiction. Deux objets, même semblables, ne sauraient n’en l’aire qu’un ; à fortiori, deux objets différents.

Abandonnant cet ordre d’arguments qui ne sont point exempts de quelque ambiguïté sophistique, Collier élargit la controverse, et, considérant tour à tour les principales théories employées pour expliquer la vision, il somme chacune de ces doctrines de proclamer la non-extériorité du monde des couleurs et des formes. La première en date devra se résigner la première et avouer que si, comme elle le prétend, les objets nous envoient des images qui ne sont converties en idées par l’âme qu’après s’être imprimées dans notre œil, la condition nécessaire de l’opération visuelle est la présence dans l’âme des objets représentés. Mais, s’il en est ainsi, la réalité d’un monde extérieur devient une pure hypothèse dont nous n’avons plus besoin.

La théorie nouvelle exposée par Malebranche, selon laquelle nous voyons toutes choses en Dieu, distingue dans le phénomène de la vision deux éléments : la sensation et l’idée, la première révélant la couleur et la seconde, la figure ; or l’une est un état de l’âme, l’autre une part et comme une découpure de l’étendue intelligible que la pensée de Dieu enferme et, ni ici ni là, nous ne trouvons place pour un monde extérieur.

Quant à la vieille école aristotélicienne, est-il un seul de ses adeptes qui ignore avec quel dédain le maître a parlé de la matière, cette pure puissance, qui par elle-même échappe à la connaissance et ne saurait être atteinte par la pensée, suivant les termes de Platon, qu’à l’aide d’un raisonnement bâtard ? D’une matière prétendue visible, ni Péripatéticiens ni Platoniciens n’ont soufflé mot. L’opinion unanime de tous ces philosophes prononce que la matière extérieure, s’il en est une, est invisible au moins pour nous, et forcément aussi que la matière visible n’est pas, ne peut pas être extérieure.

Le monde visible n’est donc pas extérieur, proposition qui est précisément celle que nous nous étions proposé d’établir.

Avant de poursuivre, il est bon d’écarter les objections que cette vérité inattendue ne manquera pas de soulever. — « Mais le consentement universel, se fait dire Collier, n’en tenez-vous nul compte ? Espérez-vous, à vous tout seul, changer la croyance du genre hu-