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g. lyon. — un idéaliste anglais au xviiie siècle.


VI


Des deux parties du traité dont nous avons donné l’analyse, la première est sans contredit la plus solide. Toute cette discussion sur la valeur delà perception visuelle est un modèle de finesse et de pénétration. Le phénomène de la vision fat da reste, pour les idéalistes de cette époque, le fait révélateur par excellence. Berkeley le mentionne à tout propos ; il lui consacre l’un de ses plus intéressants essais et pousse la hardiesse jusqu’à prétendre que les couleurs forment un langage naturel par lequel Dieu raconte aux hommes ses œuvres et sa puissance. L’évêque de Cloyne parlait en poète, Collier écrit en philosophe. Pris un à un ses arguments peuvent n’être point inattaquables ; mais ce que nulle objection ne saurait affaiblir, c’est l’idée centrale qui les assemble, ce principe suivant lequel la sensation visuelle et, d’une manière générale, la perception ne nous apprend autre chose que les modifications éprouvées par notre organisme.

Pourquoi s’en être tenu là ? Ce n’est pas qu’il faille blâmer le métaphysicien de Langford d’avoir surtout tenu compte du sens de la vue. Il ne pouvait prévoir les beaux travaux des modernes, la savante description que ses continuateurs traceraient de nos acquisitions sensorielles, la part de plus en plus prépondérante qui serait faite aux perceptions tactiles, les expériences sur les aveugles-nés, la hiérarchie définitive établie entre nos diverses impressions. Au fond, ces découvertes ne modifient en rien la doctrine. Quel que soit le sens qui mérite, en dernier ressort, le titre de générateur de la connaissance, les signes à l’aide desquels il nous annoncera la présence des choses ne seront jamais que ses propres modifications, conséquemment, nos manières d’être. La prétendue réalité révélée à ma conscience se résoudra en une somme d’états de cette même conscience, et je ne saurais pas plus m’élancer hors de mes organes dans un monde extérieur à moi que le lévrier, comme dit Hamilton, ne parvient à sauter par-dessus son ombre. Il suffit d’étendre à la sensibilité tout entière ce que Collier a trouvé vrai d’un seul de nos organes, pour que les propositions auxquelles il s’arrête subsistent dans leur intégrité.

Si la perception est impuissante à nous révéler des existences matérielles indépendantes de nous, peut-être, dira-t-on, le raisonnement est-il plus heureux. Combien est vaine cette dernière espérance, Collier nous en convaincrait sans peine, pour peu qu’il pour-