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krantz. — le pessimisme de leopardi.

ni dans l’humanité ni dans la nature, n’échappera à cette condamnation a priori : point d’atténuation, point de surprise possible au courant du système : partout et toujours une identité inexorable qui ne parvient à entretenir notre curiosité qu’à force d’art, et non point par la thèse elle-même, qui s’est presque épuisée en s’énonçant, mais par l’invention paradoxale des preuves, par la verve ou la subtilité de l’argumentation.

Telles sont en général la forme du pessimisme et l’impression qu’il produit. Il serait intéressant, à propos de Leopardi, de pénétrer cette forme et d’analyser cette impression.

Le poète en effet, moins systématique, malgré son ambition de l’être, qu’un pur philosophe comme Schopenhauer, et plus émouvant aussi à cause de la poésie et de l’accent personnel, rend la doctrine plus accessible et permet d’en saisir plus facilement les côtés faibles. Moins en garde contre les difficultés métaphysiques de la théorie, à cause de sa foi pratique, moins soucieux de la logique en raison de sa sincérité, et, de plus, bien autrement sympathique que les artistes en pessimisme, en raison de sa douloureuse expérience, Leopardi est le pessimiste qui se livre le plus. C’est donc à lui surtout qu’il faut demander si le système est aussi clair, aussi simple et aussi fort qu’il le parait ; s’il a vraiment cette valeur philosophique qu’on lui reconnaît si aisément, et si l’on n’est pas la dupe d’un effet littéraire quand on accepte son invariable qualification des choses, toute subjective et accidentelle, pour une explication impersonnelle et scientifique de la vie et du monde.

Des travaux distingués et bien connus des lecteurs de la Revue ont déjà donné sur la question ainsi posée des aperçus et des renseignements plus ou moins directs. Il faut lire le chapitre substantiel de la thèse de M. Aulard intitulé « Philosophie de Leopardi », et l’exposition éloquente de la théorie de l’Infelicita dans le « Pessimisme au XIXe siècle » par M. Caro. Mais c’est surtout dans la traduction de M. Dapples, qui vaut le texte pour la fidélité et pour la couleur, qu’on saisira sur le vif toutes les nuances souvent fuyantes de cette pensée désolée.

Ce qui frappe chez le Leopardi des Opuscules, c’est avant tout la préoccupation d’être un philosophe, de passer pour tel, et de ne pas tenir sa philosophie de la fatalité de son tempérament, mais de sa libre intelligence. Il craint d’abord que la postérité s’arrête à sentir seulement ses beaux vers, sans aller jusqu’à y chercher une doctrine ; et alors il prend la peine de formuler lui-même ses idées, en les dépouillant de la poésie qui pourrait masquer le fond philosophique. Il craint surtout l’interprétation des critiques qui ne man-