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LE PESSIMISME DE LEOPARDI[1]



Il faut convenir que l’idée fixe qui domine les systèmes pessimistes leur donne une apparence souvent décevante de force et de simplicité. Cette opiniâtreté monotone à répéter sans restriction et sans variante que « tout est mal », et ce parti pris inflexible de le démontrer pour les moindres accidents de la vie et les moindres détails de l’univers, finissent par imposer à l’esprit l’illusion d’une puissante unité et d’une admirable logique. De là, sans doute, cette facilité singulière à attribuer aux doctrines pessimistes une haute valeur philosophique et à trouver dans l’obsession même de leur unique formule une explication universelle des choses.

Ce principe cartésien, que les causes produisent leurs effets avec un minimum d’effort, par les voies les plus simples, est surtout vrai de l’intelligence humaine : comme elle voudrait tout embrasser d’une seule vue et tout suspendre à une seule loi, il est naturel qu’elle se laisse plus volontiers séduire par les doctrines qui rendent raison de tout avec une seule raison. Dans ce sens, le pessimisme apparaît nécessairement comme un progrès sur l’optimisme, qui lui-même est déjà pourtant une remarquable tentative de simplification. L’optimisme en effet laisse encore subsister dans une certaine mesure le dualisme du bien et du mal : il reconnaît l’existence du mal, puisqu’il s’ingénie à le justifier ; il ne dit pas : « Tout est bien, » mais : « Tout est pour le mieux ; » et par là il réserve une place à l’idéal et au progrès. Le pessimisme est plus radical : il nie le bien absolument, et réduit l’antinomie par le moyen violent qui semble décisif, en supprimant l’un des termes.

Aussi toute la doctrine est-elle renfermée dans son axiome originel et presque dans son nom seul. Puisque nous sommes prévenus une fois pour toutes que « tout est mal », nous savons d’avance que rien,

  1. G. Leopardi, Opuscules et pensées, traduit de l’italien et précédé d’une préface, par Auguste Dapples. Paris, Germer Baillière. 1880.