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h. lachelier. — théorie de la connaissance.

eux ces états divers. Mais une découverte déjà ancienne a surtout contribué à révéler à la science la vraie méthode à suivre pour déterminer ce substrat. C’est la découverte à moitié scientifique, à moitié philosophique du caractère médiat de la connaissance humaine : nous connaissons par l’intermédiaire d’un organisme qui mêle à la réalité des éléments subjectifs. Les phénomènes ne sont que des signes du monde objectif. Cette découverte impose à la Pensée le devoir de rendre compte de la liaison réelle, c’est-à-dire objective, des phénomènes, car l’esprit prétend arriver à concevoir objectivement la connexion des phénomènes rendus subjectifs par nos sens. De là la nécessité de former un concept qui contienne en lui la raison logique de cette connexion. Ce concept est celui de la Substance matérielle.

Dans la formation de ce concept, la science, pour répondre d’une manière satisfaisante aux exigences de la Pensée Logique, a deux écueils à éviter. Le premier est la confusion du concept de Substance avec celui que nous avons appelé « concept de Chose ou d’Objet ». Le second est la réduction de la Substance à la Chose en soi.

Il est clair, tout d’abord, que la Substance ne peut être semblable aux simples choses accessibles à nos sens. Autrement la substance serait encore un phénomène connu médiatement et pour lequel il faudrait concevoir un substrat objectif. Quand la chimie eut découvert que les éléments dont se composent les corps conservent un poids invariable au milieu de toutes les compositions et décompositions de ces corps, et que des mêmes corps on peut toujours séparer les mêmes éléments, pourvus des mêmes propriétés, elle admit, pour expliquer la connexion des phénomènes, des substances douées de propriétés constantes et qui, par leurs combinaisons diverses, peuvent produire tous les corps. Ces substances sont les corps simples de la chimie. Mais ces corps simples ne sont encore que des objets, médiatement connus, pourvus de qualités sensibles et dont le substrat réel reste inconnu. La chimie, dans cette découverte, n’a pas dépassé le concept de Chose de l’expérience vulgaire[1]. Or la Substance n’est pas une chose, elle ne peut pas être accessible à nos sens.

La Substance, qui doit rendre compte de l’expérience, n’est pas non plus une chose en soi. Le premier, Kant a fait cette distinction importante, et c’est un des grands services qu’il a rendus à la science et à la philosophie. Il a démontré que la Chose en soi, qui n’est soumise ni aux lois de l’intuition ni aux lois logiques de la Pensée, ne pouvait servir à rendre représentable la liaison objective des don-

  1. Den Dingbegriff der gemeinen Erfahrung.