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h. spencer. — les institutions politiques.

armées romaines firent périr à la conquête de Séleucie, ou celui des Juifs qu’Adrien lit égorger, c’est que l’occasion n’avait pas permis que celles-ci fussent plus nombreuses. Les cruautés des Néron et des Gallien et d’autres empereurs rivalisent avec celles des Gengis Khan et de Tamerlan. Caracalla fit mettre à mort vingt mille amis de son frère après l’avoir assassiné ; puis ses soldats forcèrent le sénat à placer le meurtrier au rang des dieux, preuve que chez le peuple romain la férocité ne le cédait point à celle qui fait déifier le plus sanguinaire des chefs chez les pires des sauvages. Le christianisme n’y a pas changé grand’chose. Dans toute l’Europe au moyen âge, les crimes politiques et les dissidences religieuses attiraient sur leurs auteurs des tortures savamment calculées, égales à celles que font souffrir à leurs victimes les barbares les plus cruels, sinon plus atroces.

Si étrange que cela paraisse, il faut admettre que l’accroissement du sentiment de l’humanité ne marche pas pari passu avec la civilisation ; mais qu’au contraire les premières étapes de la civilisation ont pour condition nécessaire un état d’inhumanité relative. Chez les tribus d’hommes primitifs, c’est le plus brutal plutôt que le plus bienveillant qui réussit dans les conquêtes dont la consolidation des constructions sociales primitives est le résultat. Durant les étapes subséquentes de l’évolution sociale, une agression sans scrupule venant du dehors et une contrainte cruelle sévissant au dedans de la société demeurent longtemps l’accompagnement habituel du développement politique. Les hommes dont le concours a formé les meilleures sociétés organisées, n’ont été dans le principe, et n’ont été longtemps, que les sauvages les plus forts et les plus adroits. Aujourd’hui, même encore, lorsqu’ils s’affranchissent des influences qui modifient superficiellement leur conduite, ils montrent qu’ils ne valent pas beaucoup mieux que des sauvages. Lorsque d’une part nous portons les yeux sur une peuplade absolument incivilisée, les Veddahs des bois, qui, dit-on, sont d’une « véracité et d’une honnêteté proverbiales, doux et affectueux, obéissant au plus léger signe d’un désir, et très reconnaissants de l’attention ou de l’assistance qu’on leur prête », ces sauvages au sujet desquels Pridham fait la remarque que nous pourrions prendre chez eux des leçons de reconnaissance et de délicatesse ; et que d’autre part nous ramenons nos regards sur les actes récents de brigandage international, accomplis par le massacre de milliers d’individus qui n’avaient fait aucun mal, à ceux qui les tuaient, et au prix d’actes de perfidie et de manque de foi et d’exécutions de prisonniers faites de sang-froid ; nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître qu’entre les