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ch. richet. — du somnambulisme provoqué

Une semblable hypothèse ne s’applique pas du tout aux faits qu’on peut observer sur la grenouille. En effet, si l’on excite légèrement la grenouille immobilisée, elle sortira de sa torpeur ; mais, si l’on continue à l’exciter en lui chatouillant légèrement le dos avec le doigt, au lieu de la réveiller de plus en plus, comme cela devrait être si la théorie de M. Heubel était exacte, on la rend de plus en plus paralytique ; si bien que finalement elle ne peut presque plus se remuer. On peut alors la poser sur la table, le ventre tourné en l’air, et étendre les deux pattes postérieures, sans provoquer de mouvements réflexes. On peut aussi la placer dans des positions invraisemblables, tout à fait contraires à la situation normale d’une grenouille ; par exemple, l’adosser à une planche en étendant les deux pattes, sans qu’elle réagisse notablement. Il semble qu’elle ait été empoisonnée par une substance toxique ou qu’on ait détruit sa moelle épinière.

Qu’on fasse la même expérience sur des grenouilles décapitées (moelle sectionnée au-dessous du bulbe), on n’obtiendra pas de semblables résultats. La grenouille décapitée conserve toujours ses mouvements réflexes, et on ne peut l’étendre sur une table sans qu’aussitôt elle retire ses membres postérieurs.

Au contraire, les grenouilles non décapitées et tenues au préalable, pendant quelques minutes, dans la main, conservent, si on les étend sur la table, l’attitude qu’on leur a donnée, et cela pendant un quart d’heure, une demi-heure et même plus[1].

Ce qui prouve bien que l’hypothèse de M. Heubel — sommeil dû au défaut d’excitations périphériques — n’est pas exacte, c’est qu’une grenouille ainsi stupéfiée peut être touchée, remuée, excitée, sans se déplacer. Voilà des excitations extérieures, bien fortes cependant, qui ne suffisent pas pour réveiller l’animal. Est-il légitime d’admettre que ce sommeil est dû à l’absence d’excitations extérieures ? Souvent j’ai fait cette expérience : une grenouille, stupéfiée par les procédés indiqués plus haut, était étendue sur la table, et, à côté d’elle, je faisais vibrer un timbre très bruyant. Ce son ne provoquait aucune réaction de l’animal.

Enfin l’opinion de M. Heubel est encore infirmée par une expérience de Czermak[2], répétée par M. Preyer[3]. Si l’on pince brusque-

  1. Je compte reprendre ces dernières expériences, car elles ne concordent pas avec quelques faits observés par M. Preyer, loc. cit., p. 63.
  2. Eine neurophysiologische Beobachtung an einern Triton crialatus (Zeitschrift f. wiss. Zoologie, 1856, p. 542).
  3. Loc. cit. Voyez la planche photographique 3, placée à la fin de son mémoire.