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LES DÉSORDRES PARTIELS DE LA MEMOIRE


I


L’étude des amnésies partielles suppose avant tout quelques remarques sur les variétés de la mémoire. Sans ces remarques préliminaires, les faits que nous allons rapporter paraissent inexplicables et même un peu merveilleux. Qu’un homme perde la seule mémoire des mots, qu’il oublie une seule langue et conserve les autres, ou bien qu’une langue oubliée depuis longtemps lui revienne brusquement, qu’il soit privé de sa mémoire musicale et d’elle seule : ce sont là des événements si bizarres au premier abord que, s’ils n’avaient été constatés par les observateurs les plus scrupuleux, on serait tenté de les reléguer parmi les fables. Si, au contraire, on s’est fait une idée exacte de ce qu’il faut entendre par ce mot mémoire, tout le merveilleux s’évanouit et ces faits, loin de surprendre, apparaissent comme la conséquence naturelle, logique, d’une influence morbide.

L’emploi du mot mémoire comme terme général est d’une justesse irréprochable. Il désigne une propriété commune à tous les êtres sentants et pensants : la possibilité de conserver les impressions et de les reproduire. Mais l’histoire de la psychologie montre qu’on est trop porté à oublier que ce terme général, comme tout autre, n’a de réalité que dans les cas particuliers ; que la mémoire se résout en des mémoires, tout comme la vie d’un organisme se résout dans la vie des organes, des tissus, des éléments anatomiques qui le composent. « L’ancienne erreur, encore admise, qui consiste à traiter la mémoire comme une faculté ou une fonction indépendante qui aurait un organe ou un siège distinct, vient, dit un psychologue contemporain, de l’incurable tendance à personnifier une abstraction. Au lieu de reconnaître que c’est une expression abréviative pour désigner ce qui est commun à tous les faits concrets