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divers organes produit des modifications inégales dans les parties appropriées du système nerveux, par suite des conditions inégales de souvenir, par suite des variétés de mémoire. Il est même vraisemblable que l’inégalité des mémoires, dans le même homme, est la règle, non l’exception. Comme nous n’avons pas de procédés exacts pour les doser séparément et les comparer entre elles, nous ne donnons ce qui précède que comme une conjecture, sans pouvoir toutefois renoncer à croire que l’on ne constate pas tous les cas d’inégalité, mais simplement ceux qui dénotent une grande disproportion. — L’antagonisme qui existe entre diverses formes de la mémoire nous fournirait encore une preuve indirecte : c’est un point sur lequel il y aurait de curieuses recherches à faire ; mais il sort de notre sujet[1]. — Enfin, qu’on n’objecte pas l’influence de l’éducation. Il est clair qu’il faut en porter beaucoup à son compte ; mais l’éducation ne s’applique guère qu’aux dons que la nature met déjà en relief, et d’ailleurs, dans certains cas, il est certain qu’elle n’a pu jouer aucun rôle.

En psychologie, comme dans toute science de faits, c’est l’expérience qui décide en dernier ressort. Remarquons cependant que l’indépendance relative des diverses formes de la mémoire aurait pu s’établir par le seul raisonnement. C’est, en effet, un corollaire des deux propositions générales qui suivent : 1o Tout souvenir a son siège dans certaines parties déterminées de l’encéphale. 2o L’encéphale et les hémisphères du cerveau eux-mêmes « consistent en un certain nombre d’organes totalement différencies, dont chacun possède une fonction propre tout en restant dans la connexion la plus intime avec les autres. » Cette dernière proposition est maintenant admise par la plupart des auteurs qui étudient le système nerveux.

Je crains d’insister trop longuement. Dans la physiologie, en effet, la distinction des mémoires partielles est une vérité courante[2] ; mais, dans la psychologie, la méthode des « facultés » a si bien réussi à faire considérer la mémoire comme une unité, que l’existence des mémoires partielles a été complètement oubliée ou prise pour une anomalie. Il fallait ramener le lecteur à la réalité, lui rappeler qu’il n’y a, en dernière analyse, que des mémoires spé-

  1. Sur l’antagonisme des mémoires, voir Herbert Spencer, Principes de psychologie, t. I, p. 232-242.
  2. Voir en particulier Ferrier, Fonctions du cerveau. — Gratiolet, Anatomie comparée, etc., t. II, p. 460, faisait déjà remarquer « qu’à chaque sens correspond une mémoire qui lui est corrélative et que l’intelligence a comme le corps ses tempéraments, qui résultent de la prédominance de tel ou tel ordre de sensations dans les habitudes naturelles de l’esprit. »