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renoncer à la musique ou à la peinture. » D’autres perdent la seule mémoire des nombres, des figures, d’une langue étrangère, des noms propres, de l’existence de leurs plus proches parents. Nous allons en donner quelques exemples.

On a souvent cité le cas de Holland, qu’il a rapporté lui-même dans sa Mental Pathology (p. 160) : « J’étais descendu le même jour dans deux mines profondes du Harz. Étant dans la seconde mine, je me trouvai si épuisé par la fatigue et l’inanition qu’il me fut complètement impossible de causer avec l’inspecteur allemand qui m’accompagnait. Tous les mots, toutes les phrases de la langue allemande étaient sorties de ma mémoire, et je ne pus les recouvrer qu’après avoir pris un peu de nourriture et de vin et m’être reposé quelque temps. »

Ce cas, quoique le plus connu, est loin d’être unique. Le Dr Beattie rapporte qu’un de ses amis ayant reçu un coup sur la tête avait perdu tout ce qu’il savait de grec, mais que par ailleurs sa mémoire ne paraissait avoir souffert en aucune façon. — Cette perte de langues acquises par l’étude a été souvent notée comme le résultat de diverses fièvres.

De même pour la musique : « Un enfant, après s’être violemment heurté la tête, resta trois jours inconscient. En revenant à lui, il avait oublié tout ce qu’il savait de musique. Rien autre n’avait été perdu[1]. » — Il y a des cas plus compliqués : Un malade qui avait complètement oublié la valeur des notes musicales pouvait jouer un air après l’avoir entendu. — Un autre pouvait écrire des notes, même composer, reconnaître une mélodie à l’audition ; mais il était incapable de jouer en regardant les notes[2]. — Ces faits, qui nous montrent la complexité de nos opérations mentales en apparence les plus simples, seront étudiés plus loin[3].

Dans certains cas, on voit disparaître momentanément les souvenirs les mieux organisés, les plus stables, tandis que d’autres qui présentent le même caractère restent intacts. Ainsi Abercrombie raconte qu’un chirurgien jeté à bas de son cheval et blessé à la tête donna, dès qu’il fat revenu à lui, les instructions les plus minutieuses sur la manière de le traiter. Par contre, il ne se souvenait plus d’avoir une femme et des enfants, et cet oubli persista pendant trois jours[4]. Faut-il expliquer ce fait par

  1. Carpenter, Mental Physiology, p. 443.
  2. Kussmaul, Lie Störungen der Sprache, p. 181. — Proust, Archives générales de médecine, 1872.
  3. Voir ci-après, § II.
  4. Abererombie, Essay on intellectual Powers, 156.