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le cas particulier qui nous occupe, — l’amnésie progressive des signes, — le langage des émotions doit disparaître après le langage rationnel. Les faits confirment pleinement cette déduction.

Les meilleurs observateurs, Broca, Trousseau, H. Jackson, Broadbent, etc., ont noté un grand nombre de cas où des aphasiques complètement privés de la parole, incapables d’articuler un seul mot volontairement peuvent proférer non seulement des interjections, mais des phrases toutes faites, de courtes locutions usuelles, propres à exprimer leur colère, leur dépit ou à déplorer leur infirmité. L’une des formes les plus persistantes de ce langage est celle des jurons.

Nous avons dit qu’en général ce qui est de formation récente périt tout d’abord, que les formations anciennes disparaissent les dernières. Nous en trouvons ici une confirmation : le langage des émotions se forme avant le langage des idées ; il disparaît après lui. De même, le complexe disparaît avant le simple : or le langage rationnel comparé au langage affectif est d’une extrême complexité.

3o Tout ce qui précède est applicable aux gestes. Cette forme du langage, la plus naturelle de toutes, n’est (comme l’interjection du reste) qu’un mode d’expression réflexe. Elle apparaît chez l’enfant longtemps avant le langage articulé. Chez certaines tribus sauvages dont l’idiome est très borné, les gestes jouent un aussi grand rôle que les mots ; aussi ne peuvent-ils plus se comprendre dans l’obscurité.

Ce langage inné se perd rarement. « Les aphasies dans lesquelles on rencontre des désordres mimiques sont toujours, dit Kussmaul, d’une nature extrêmement complexe. Dans ces cas, tantôt les malades reconnaissent encore qu’ils se trompent dans l’emploi de leurs gestes, tantôt ils n’en ont pas conscience. » (P. 160.)

Hughlings Jackson, qui a étudié ce point avec soin, note que certains aphasiques ne peuvent ni rire, ni sourire, ni pleurer, sauf dans les cas d’extrême émotion. Il a noté aussi que quelques malades affirment ou nient par gestes tout à fait au hasard. L’un d’eux, qui avait encore à son service quelques interjections et quelques gestes, en usait à contre-sens ou d’une façon inintelligible.

Un fait cité par Trousseau nous donne un exemple bien remarquable d’une pure amnésie motrice concernant les gestes : « Je plaçais mes deux mains et j’agitais mes doigts dans la position où se trouve un homme qui joue de la clarinette, et je disais (au malade) de faire comme moi. Il exécutait aussitôt ces mouvements avec une parfaite précision. « Vous voyez, lui disais-je, je fais le geste d’un « homme qui joue de la clarinette. » Il répondait par une affirmation.